Johanne Villeneuve, avec son premier roman, donne une langue… au chien.
Un artiste constate que son art ne l’amène pas où il l’aurait voulu, ou plutôt qu’il n’a pas mené son art où il le voulait ; son chien, comme un gardien de l’ordre cosmique, relate ses derniers moments, par la réminiscence de rencontres importantes, de subtils changements dans la vie de son maître, changements que seuls les chiens peuvent saisir. Il connaît même le passé lointain du maître comme celui de chaque humain et de l’humanité. Comme tous ses semblables, il vit dans l’intimité les tragédies et vicissitudes humaines, les guerres et les morts, tout en gardant sa placidité. Il a bien quelques certitudes mais point de langage pour les transmettre aux humains. Le chien est voué à un compagnonnage silencieux.
La sagesse du chien dépeinte dans ce roman est bien humaine, mais l’illusion est totale et vivifiante. « L’optique du chien » nous fait entrer dans une autre peau, un autre système de références : les ondes, les frémissements de l’air qui charrie tant d’effluves, les sons, les rêves, la connaissance des objets et des arbres. On perd cependant cette impression déstabilisante, qui fait d’ailleurs la force tranquille et envoûtante de ce livre, quand le chien raconte la vie du maître ; la narration devient alors un peu « trop humaine ». Le style reste toutefois posé, juste, élégant, presque hiératique avec ses répétitions, pour peu qu’on s’habitue aux néologismes qui le parsèment çà et là. Un très bon roman, qui utilise avec talent cette technique qu’est la narration par le double du personnage principal.