Ce premier recueil de Johanne Alice Côté regroupe dix nouvelles qui présentent un éventail à la fois stylistique et thématique d’une écriture qui explore de multiples blessures sur un ton qui oscille entre l’innocence et la gravité. Le texte d’ouverture, « Grâce », campe le lecteur dans une position de voyeur : une fille, obèse et sans aucune grâce apparente, visite sa mère à l’hôpital pour constater que celle-ci vient de mourir. S’ensuit une succession d’images qui évoquent la difficile relation entre la mère et la fille, entre cette dernière et la société qui ne pose sur elle qu’un regard de réprobation. Un second texte, « Me brûle, me brûlera », prend la forme d’un double soliloque pour mieux circonscrire le fossé qui sépare une mère et sa fille au moment où la vie déserte peu à peu le corps et l’esprit de la mère. Ce texte, comme le précédent, explore l’impossibilité de partager la souffrance de l’autre, fût-ce son propre enfant, sa propre mère, et le fait qu’à la souffrance d’autrui on ne peut qu’opposer sa propre vulnérabilité.
Les textes qui mettent en scène deux personnages, dans un huis clos qui amplifie l’inconfort et l’incompréhension d’une relation le plus souvent écrasante pour l’un des personnages, qui met à nu la vulnérabilité de chaque personnage, sont les mieux réussis : l’écriture y est la mieux maîtrisée, le ton juste et les images produisent l’effet escompté sans verser dans l’excentricité à outrance.
D’autres textes du recueil se déploient sur un autre mode. Plus près de la revendication, de la litanie, ils cherchent à défendre une idée, voire à pourfendre une cause ou une idéologie. Dans l’un d’eux, « Les tomates pousseront d’elles-mêmes », l’auteure met en scène les derniers jours d’une secte, nommée ici « communauté ». L’auteure a à nouveau recours à une mise en parallèle ‘ la lettre d’adieu du personnage à une amie hors communauté et le récit du suicide collectif ‘ dans ce récit où s’entrecroisent absurdité sectaire et hymne à la vie. La chute de la nouvelle est ici fort bien réussie. Dans le texte éponyme, les préoccupations écologiques, certes légitimes, l’emportent sur l’écriture elle-même davantage mise au service d’une cause que de son propre but. Et comme ce type de texte, qui défend une thèse ou cherche à expliquer sur quoi reposent nos espoirs, voire nos illusions par moments, exige davantage d’espace pour soutenir son propos, ce n’est pas toujours le texte lui-même qui en sort gagnant. Malgré ces réserves, la lecture de Mégot mégot petite mitaine mérite qu’on s’y attarde, qu’on se plonge dans cet univers qui ne craint pas d’explorer les plis et les replis du corps et de la conscience sociale.