Mathilde est sur scène au théâtre Gesù, cachée dans le ventre d’une marionnette géante. Elle en sortira bientôt, comme naguère du ventre de sa mère. Naine et orpheline, Mathilde s’est inventé jadis une mère tsarine, représentée par la marionnette. Maintenant septuagénaire, elle remonte le fil de sa vie.
Il y a des décennies que Mathilde n’a pas joué, mais elle l’a beaucoup fait sans être vue, toute naine qu’elle est. C’est d’ailleurs l’un des rôles qu’elle a interprétés pendant un quart de siècle qui a mis sur son chemin le jeune acteur Antoine Rompré, rencontré à une assemblée générale de l’Union des artistes. Enfant, Antoine avait été fasciné par la série télévisée Brimborion et Fleur de sel, dans laquelle Mathilde animait la marionnette à gaine de Brimborion et lui prêtait sa voix. Des atomes crochus entre les deux, et voilà que se tisse un lien d’amitié, au point que Mathilde en arrive à lui confier son histoire, les moments révélateurs que même sa grande amie, l’actrice Rachel, ignore. Il lui propose d’en faire une pièce qu’il mettrait en scène et dans laquelle il jouerait tous les rôles secondaires. Au cours des répétitions en 2005, il devient évident que la pièce prendra la forme d’un one woman show.
Nous sommes en 2008. Le grand mensonge est présenté pour la millième fois, mais devant la colonie artistique montréalaise cette fois. Un chassé-croisé sans souci de chronologie nous transporte dans les moments marquants de la vie de l’actrice en remontant jusqu’en 1930, année de sa naissance. Dans un mouvement de va-et-vient, le narrateur quitte la scène pour retourner dans la vie de Mathilde, saisir tel événement, telle rencontre significative. Un narrateur à la troisième personne empruntant le regard de Mathilde va ainsi du plateau de théâtre à la vie de l’héroïne. Il adopte le franc-parler de celle qui pense ainsi camoufler sa fragilité.
Portrait en action avec, en toile de fond, le Montréal des années 1940, pour les scènes à l’orphelinat dirigé par une sœur Saint-Honorine toute rigide ; celui des années 1950 et 1960 avec la fin des séries radiophoniques et l’arrivée de la télévision ; les nuits de Montréal dont Brenda, la voisine, amie de Mathilde et danseuse au Blue Sky, nous donne un échantillon. Rencontre qui aura une incidence déterminante sur la vie de Mathilde, qui se sentira moralement et affectivement responsable du fils de la danseuse après que cette dernière aura été assassinée. Le titre de la pièce, Le grand mensonge, fait d’ailleurs référence à Paul-Kim, cet enfant qu’elle a fini par adopter.
Isabelle Doré, connue d’abord comme femme de théâtre, fait preuve dans son premier roman d’un doigté certain, en usant du procédé de mise en abyme par lequel elle insère le théâtre à l’intérieur du roman, le premier censé représenter ce que raconte le second, soit la vie du personnage hors norme de Mathilde Brabant.