Le nom du violoniste de concert Claudio José Domingo Brindis de Salas y Garrido vous dit quelque chose ? Non ! Pas étonnant puisque même Cuba, son pays natal, l’a oublié pendant des décennies avant de lui redonner la place qui lui revenait au firmament des grands maestros de la fin du XIXe – début du XXe siècle. Mais il aura fallu attendre, en ce début du XXIe siècle, la plume de son compatriote Eduardo Manet installé en France depuis de longues années pour découvrir, sous forme romanesque, ce musicien de génie.
À travers la trajectoire dramatique de celui que ses contemporains surnommaient le Paganini noir, Eduardo Manet invite à nouveau ses lecteurs à le suivre là où l’exil, la passion amoureuse et ses mystères, la création et les réminiscences de son île natale tissent la trame de son univers littéraire. Après L’île du lézard vert et Rhapsodie cubaine, l’écrivain offre avec Maestro ! un portrait saisissant de la complexité de cette société cubaine du tournant du XXe siècle où un noir, sauf s’il s’appelle Brindis de Salas, ne peut s’asseoir à la même table que ses amis blancs dans les bars de La Havane. Un affront auquel le violoniste réagira en quittant tout simplement les lieux avec ses amis et admirateurs. Mais cette réalité, bien que moins ostentatoire, est souvent similaire en Europe. Le propre frère de son épouse, une jeune baronne de la haute société prussienne, n’a-t-il pas tout fait pour la détourner de ce nègre ?
Généreux jusqu’à l’outrance, d’une arrogance qui ne plie devant rien ni personne, loyal au souvenir du père qui s’est sacrifié pour lui, déchiré entre sa femme et sa maîtresse, une Indienne aymara d’Amérique du Sud, tourmenté à l’idée de perdre les deux familles que ces deux femmes aimées lui ont données, Brindis de Salas aura tout vécu de la gloire à la déchéance avant de sombrer dans l’oubli. Un personnage complexe et remarquable, un beau roman.