Un photographe seul et désœuvré s’amuse à vivre dans l’anonymat en s’imaginant une vie d’espion. Dans un délire fabulateur, il se croit traqué, puis improvise à son tour des filatures et fait de son quotidien une fiction digne de la « Série noire » (collection de romans policiers publiée chez Gallimard).
C’est Cécile, son amante désinvolte et agente immobilière, qui lui a inspiré cette manière de vivre. Ensemble, ils avaient l’habitude de consommer leur amour clandestinement, au cœur d’appartements vierges de toute vie humaine. Ils étaient les acteurs furtifs d’une passion en fuite. De cette vie secrète, notre espion garde le goût de la confidentialité, acceptant une existence circonspecte et hors des conventions sociales.
Puisqu’il lui faut bien assurer sa subsistance, il court les bons coups journalistiques avec son collègue et pseudo-ami Bruno. L’appareil photo devient alors leur carte d’entrée pour pénétrer dans les milieux interlopes et investiguer dans le cœur de l’underground. Lors d’un reportage photographique, il retrouve sur le terrain une vieille amie de l’Institut Supérieur des Arts de Belgique, qui le présente à un personnage excentrique du monde de l’art contemporain : Teresa Manzoni. Cette artiste aussi mystérieuse que radicale se taille une place bien à part sur le marché de l’art actuel : elle est « une galeriste sans galerie et organise des expositions d’art éphémère dans des lieux à l’écart des circuits conventionnels ». À travers les performances originales et ultra-temporaires de la brune ténébreuse, l’apprenti agent secret mène sa petite enquête pour connaître les méandres des happenings, saisissant petit à petit l’effarante machination du spectacle remplie de leurres et de mystifications.
Entre la satire sociale de Ruben Östlund et le voyeurisme de Sophie Calle, Thierry Horguelin propose, avec Ma vie d’espion, un joyeux imbroglio littéraire qui dévoile les limites de l’art conceptuel. Cette novella au style concis et limpide nous projette directement dans l’action ; on déambule avec le photographe comme le ferait un limier détective. Or, une critique s’en dégage : n’y a-t-il pas de conflits éthiques quand l’art met l’individu au centre du programme créatif ? Dans quelle mesure la quête du buzz rend-elle légitime le recours au mensonge ? Ce court texte original critique brillamment les dérapages d’une industrie sauvage. Quand, au nom de l’Art, l’être humain est appréhendé de manière plastique, les dérives conceptuelles peuvent tranquillement se transformer en manipulation personnelle.