Aussi bien l’avouer : j’aurais préféré ne pas avoir à vous parler du dernier livre de Simon Roy. Pas maintenant, pas sitôt après vous avoir dit tout le bien que je pensais du précédent, Fait par un autre. Mais la vie en a décidé autrement.
Oui, la vie, puisque Ma fin du monde en regorge. Simon Roy n’a nullement perdu son appétit de vivre, malgré la terrible nouvelle qu’on lui a assénée le 22 février 2021. Bien au contraire, il entend profiter au maximum de chaque instant, de chaque nouvelle journée, à preuve ce nouveau livre. Tout le pouvoir de l’écriture est là, nous rappelle Simon Roy : « Me voilà donc un an après le diagnostic fatal. Toujours debout, fragile et chancelant, mais mordant dans la vie au point de me décider à commencer un nouveau livre dans mon genre hybride, pour me prouver que je suis toujours vivant et peut-être un peu pour mettre la mort à l’écart… »
Tout le monde a peur de mourir. Très tôt, l’enfant prend conscience de la mort, d’abord celle de ses parents, puis la sienne. Il faut alors le rassurer, lui promettre, quitte à lui mentir, qu’on sera toujours là pour lui. Simon Roy sait qu’il ne sera pas toujours là pour les siens. Il plonge en apnée en lui-même pour affronter ses craintes et refait surface, tantôt avec sensibilité, tantôt avec courage et drôlerie, avec « l’espoir d’un homme désespéré parce que la science lui prédit un avenir écourté ». Il décortique la peur qui se loge en nous à notre insu pour mieux la confronter, mettre à nu les rouages qui trop souvent nous paralysent. S’inspirant de l’adaptation du roman La guerre des mondes, de H. G. Wells, qu’avait proposée Orson Welles sur les ondes d’une radio américaine, la veille d’Halloween en 1938, il illustre les fondements irrationnels qui alimentent nos craintes. L’affolement engendré par l’envahissement de la Terre par les Martiens avait donné lieu à des comportements insensés, voire à des mouvements de panique, de la part d’auditeurs au moment de la diffusion de l’émission. Mais, nous rappelle Simon Roy, c’était juste une histoire inventée.
Telle Shéhérazade repoussant l’échéance jour après jour, Simon Roy se lance à son tour dans l’écriture d’une histoire inventée où s’entremêlent, comme dans ses ouvrages précédents, souvenirs et éléments anecdotiques. Au fil des pages, la résurgence des figures parentales – tantôt en rêve pour la mère, tantôt en évoquant le souvenir du père qui aimait, tout comme Orson Welles, monter des canulars – lui rappelle sa propre enfance, la vie de famille, l’oncle doué d’un don de guérisseur auquel il fera appel pour son fils, à la suite de brûlures, et pour lui-même, à d’autres occasions. Sans remettre en cause le caractère rationnel qui doit prévaloir dans notre appréhension du monde, Simon Roy fait ici sien le pari de Pascal. Il adopte une position d’ouverture par rapport à ce qui lui échappe et, qui sait, pourrait faire mentir le pronostic. Constamment, il nous invite, lecteurs et lectrices, à partager sa foi et ses doutes, ses espoirs comme ses craintes, sa faim du monde, oserais-je dire, ce qui donne à ce livre un caractère unique et émouvant.
Le livre se termine comme il a commencé. Simon Roy laisse toute la place à la figure du petit Léon, atteint comme lui d’un cancer du cerveau. Il lui arrive de le croiser en compagnie de son père, médecin oncologue, à l’hôpital. Touchés par leur situation familiale, Simon Roy et sa conjointe ont acheté au petit Léon un cadeau, un p’tit rien tout neuf, comme il dit, à la fois pour égayer la journée de l’enfant et remercier le père qui a accepté de prodiguer à Simon, le moment venu, les services de l’aide médicale à mourir. L’humanisme, la bonté et la compassion, qui émanent de ces pages, ont ici le dernier mot.