L’auteur a eu cette inspiration : fouler les pas de l’écrivain suisse Nicolas Bouvier (1929-1998) qui, au début des années 1950, est parti dans un long voyage en auto qui l’a amené notamment en Iran, expédition qu’il relatera dans son livre L’usage du monde (1963).
Malgré un contexte très différent comparativement à celui de l’époque, aujourd’hui beaucoup plus dangereux pour la sécurité des voyageurs, Désérable se met en tête de reprendre le parcours effectué par Bouvier, mais uniquement en Iran.
En Iran ? Oui, malgré les avertissements des autorités françaises, de ses amis, qui tentent de le décourager de se lancer dans cette périlleuse aventure : car on a bel et bien affaire dans ce pays à un régime corrompu, avant tout soucieux de sa survie, implacable contre toute forme d’opposition, locale ou étrangère. Les accusations, fantoches, peuvent tomber arbitrairement sur tout citoyen ou voyageur soupçonné d’antipathie envers les dirigeants actuels. La suite : la prison, et de gros efforts à entreprendre pour les défenseurs des droits de la personne ou les diplomates qui peuvent bien peu pour leurs ressortissants…
Chemin faisant, partout dans le pays, Désérable, qui parle à tout le monde qu’il croise sur son chemin, fait face au premier chef à la surprise des Iraniens. Pourquoi venir chez nous, demandaient-ils, gentiment mais incrédules ? « Pourquoi l’Iran ? Pourquoi ce pays semi-désertique avec un gouvernement de semi-demeurés, où la justice était celle de l’État islamique, les libertés civiles celles de la Corée du Nord, l’économie celle du Venezuela et le système de santé celui du Bangladesh ? »
À son terme, quel bilan tirer de cette magnifique expédition, si singulière, si intense, si unique ? Selon le jeune et courageux écrivain, ce régime n’est rien de moins que honni par la population. « [C]’était ce qu’il faut bien appeler de la haine, une haine pure et dure, inextinguible », écrit-il.
Mais si le peuple iranien explose périodiquement sous le coup de cette haine – comme récemment avec la mort, en 2022, de la jeune Mahsa Amini (tuée par les milices du régime pour ne pas avoir porté le voile) –, il est, toutefois, paralysé par la peur, constate Désérable.
Sur un ton plutôt humoristique, mais sans compromettre la profondeur du propos, le récit a cette grande qualité : à sa lecture, par son écriture fine, précise, fluide, on sent bien les scènes décrites. Comme si on était devenu le compagnon de voyage de l’auteur.
François-Henri Désérable a mis haut la barre. Pour quiconque voudra, comme lui, reprendre le voyage d’un écrivain et décrire, avec autant de justesse, la beauté d’un pays, l’âme d’un peuple.