« L’écriture est ma manière d’être au monde. » On le croit volontiers à lire la verve intarissable de cette sympathique passionaria née en 1945. Car son récit autobiographique est empreint de l’histoire d’un Québec en transformation et de plus en plus branché sur le monde.
L’enfant du carré Saint-Louis, l’adolescente pensionnaire chez les sœurs, la professeure d’université, l’amante, la mère surgissent tour à tour sous la plume fluide de l’écrivaine.
De son enfance, on retient la relation symbiotique avec la mère, seule pourvoyeuse malgré un modeste emploi, le père, pour le peu de temps qu’il a fait vie commune avec la mère, ne travaillant pas. Paul Noël est invisible aux yeux de sa fille, objet de honte et de mépris que l’écrivaine préfère masquer sous le terme d’indifférence.
Quoique issue d’une famille matériellement pauvre, Francine fera sa scolarité en grande partie en tant que pensionnaire chez les sœurs. Rebelle et peu portée sur la religion, elle est toutefois assoiffée d’apprendre et rend grâce aujourd’hui aux communautés religieuses qui ont maintenu contre vents et marées les hôpitaux et les écoles pour filles. Elle dit être nostalgique du couvent de Lachine où elle a étudié les huit années du cours classique, et ce, en dépit de la discipline et de la religiosité ambiante. Consciemment ou non, elle y a amorcé ce qu’elle appellera non sans autodérision sa « mobilité sociale ascendante ».
Suivront la licence ès lettres et le doctorat, dont la thèse porte sur Beckett. Il faut dire qu’un intérêt marqué pour le théâtre pendant ses études supérieures l’a conduite sur les planches comme actrice de la troupe des Insolytes, notamment. Néanmoins, elle choisira l’enseignement du théâtre dès la fin de la maîtrise, après avoir été tout de suite engagée par l’UQAM. Francine Noël nourrit un fort sentiment d’appartenance à cette université pour tous qu’elle contribuera à bâtir comme professeure. Aussi son retour d’un séjour en France pour ses études doctorales s’accompagne d’un élan de fierté et d’enthousiasme pour tout ce qui peut contribuer à la création d’un pays, un Québec indépendant. Cette femme engagée aux grands idéaux n’est pas de celles qui savent attendre, se taire ou se boucher les oreilles.
Sa fougue a de quoi se déployer, d’autant plus qu’avec la révolution sexuelle, on se bouscule à sa porte. La sachant célibataire, les collègues masculins mariés ou non la croient libre, c’est-à-dire à l’image de l’amante dessinée par les fantasmes masculins.
Ce qui ressort de ses confidences et anecdotes relatives à sa vie amoureuse, c’est qu’il s’agit là de l’aspect de sa vie le moins réussi, sauf les quelques années de vie commune heureuse avec le compagnon A. Elle n’explique pas ce besoin d’aventures qui l’a amenée à multiplier les amants, mariés, étrangers de passage ou rencontrés en voyage, etc. Pourtant, « loin de chercher à collectionner les amants, je me serais contentée d’un seul, auquel j’aurais pu dire je t’aime sans qu’il agrippe son froc et détale », avoue-t-elle. Serait-il farfelu d’y voir un lien avec ses déménagements successifs ? À chaque fois, elle quittait une maison dont l’installation n’était pas finie. Elle en a habité dix-huit au moment d’écrire ce récit, et sa vie n’est pas terminée, puisqu’elle est actuellement en « période de prolongation », comme elle le dit avec humour.
En contrepartie, outre sa carrière de 32 ans à l’université, la maternité l’a comblée. Tous les passages où il est question de son fils respirent le bonheur, la parfaite complicité.
De cet entrelacs d’anecdotes et de références à l’histoire de la transformation du Québec, se détache un autoportrait vivant, lucide et sans complaisance dans une langue riche et bouillonnante.
Toute une génération s’y reconnaîtra, bien au-delà de nos frontières.