À partir de quel moment un choix esthétique devient-il la prison du ressassement ? L’œuvre de Luis Sepúlveda, à l’instar de celle d’un Jacques Poulin, nous oblige à nous poser la question, tant les redites, les reprises, les mêmes chemins empruntés effacent la singularité de chaque titre pour construire un seul texte à multiples volets. L’association à Poulin n’est pas fortuite ; celui-ci, comme Sepúlveda, se réclame d’Ernest Hemingway et d’une écriture sans fioriture, où les images sont directes, les situations campées dans leur essence, sans détails superflus. Ce choix de la ligne directe, Sepúlveda l’a fait il y a longtemps, ce qui a donné des récits limpides, centrés sur un personnage en lutte contre l’injustice, capable de se référer à un cadre éthique pour affronter les compromissions du monde. Depuis, il perfectionne cet art du portrait, mais en amenuisant toujours la trame narrative, passant du roman au conte et à l’historiette, le témoignage prenant le pas sur la fiction.
Avec L’Ouzbek muet, l’écrivain chilien poursuit l’exhumation de son passé militant, avec l’élément charnière qu’est la chute du gouvernement Allende. Le terrain est donc connu, puisque l’auteur ne cesse de revenir sur ce trauma, non pas pour se plaindre, mais pour signaler comment les histoires individuelles et collectives sont tombées dans la clandestinité à la suite de la dictature. Le rôle de l’écrivain est alors de restituer ces paroles, ces résistances, ces trajectoires et de leur donner une voix. Celle-ci flirte dès lors constamment avec la nostalgie qui, dans ce recueil d’histoires, finit par prendre le dessus, Sepúlveda figeant un âge d’or, celui d’une jeunesse combative, militante, engagée, à l’affût de solidarités internationales, d’amitiés sincères et de découvertes des passions du monde. Le recueil donne à lire la détermination de jeunes prêts à tout pour une cause, même si les actions menées à terme, ou non, sont au mieux dérisoires. Dans la manière de l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour, la place pour l’ironie est plus que congrue ; tout se joue dans la sincérité des actions, dans l’espèce de chape morale ou de code que se sont donnés ces jeunes politisés, et c’est cette distance qui manque au recueil, celle qui permettrait de ne pas figer le passé. Bien sûr, Sepúlveda demeure un excellent conteur, capable de cerner ses protagonistes en quelques traits, de camper des situations initiales très efficacement, mais L’Ouzbek muet peine à fournir des chutes intéressantes, à pousser jusqu’au bout les histoires racontées. Le lecteur finit par perdre intérêt à cette plongée dans le passé, sauf pour la nouvelle « Moustik », mieux construite.
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