L’écriture d’Eric-Emmanuel Schmitt est comme le bon vin : elle s’améliore avec le temps. Jamais jusqu’à maintenant l’auteur français n’avait mené un roman avec autant d’efficacité ni abordé un sujet aussi percutant d’actualité que celui de l’utilisation du corps humain comme matériau de création artistique. On ne peut s’empêcher, en lisant Lorsque j’étais une œuvre d’art, de songer à cette performeuse française connue pour se livrer publiquement à de choquantes opérations de chirurgie esthétique qu’elle accompagne de commentaires sur l’œuvre en train de se faire. Ces interventions à la limite du soutenable relèvent-elles de l’art ou du charlatanisme ? Voilà la question qu’aborde l’auteur à travers les mésaventures d’un jeune désespéré, Tazio Firelli, qui s’engage corps et âme dans un projet artistique ayant pour but de le transformer en sculpture vivante améliorée par quelques coups de bistouri. Rebaptisé Adam bis par Zeus-Peter Lama, son créateur au nom prédestiné, Tazio n’existe que lorsqu’il se donne en spectacle ; il n’existe qu’à travers le regard des autres. Du moins jusqu’à ce qu’il s’affranchisse de l’esclavage dans lequel le maintient un Zeus-Peter Lama aussi avide de succès que de scandale.
Eric-Emmanuel Schmitt, qui revisite ici le mythe de Frankenstein, pourfend à qui mieux mieux l’imposture, la provocation, le narcissisme et le matérialisme qui prévalent dans certains milieux branchés de la mode, du cinéma ou de l’art. Le romancier n’en reste cependant pas là : reprenant un leitmotiv qui parcourt son œuvre, en l’occurrence l’idée que les apparences ne sont peut-être pas ce qu’elles laissent croire, il aborde en contrepoint des thèmes comme le sens de la vie, les valeurs humaines, l’amour, l’estime de soi, l’authenticité. Malgré une fin quelque peu mièvre (on dirait que l’écrivain éprouve de la difficulté avec les dénouements), il aura réussi à mener son protagoniste du vide existentiel à la plénitude intérieure, du rôle d’objet à celui de sujet autonome, de l’univers du paraître à celui de l’être.