C’est au grand plaisir des lecteurs de poésie que les éditions Trois-Pistoles ont réédité les premiers recueils de Benoît Chaput. Ce dernier, animateur de la petite maison L’Oie de Cravan depuis une douzaine d’années, demeure sous-estimé comme poète, et ceux qui l’ont découvert avec Le démon familier en 2001 auront avantage à remonter vers ces plaquettes de 1992 et 1998 désormais réunies en un volume.
Sur le ton d’un enfant tour à tour charmé puis déçu, Benoît Chaput s’attache à une parole naïve, imprégnée cependant par une révolte de fond. À partir de réalités simples et dans un vocabulaire très sobre, il parvient à ébranler un peu notre vision du monde, à faire surgir de nouvelles interrogations. « Un arbre s’élève / lentement il est redoutable / ses racines sur mes mains / amènent la peau à s’éclaircir / et le regard que j’ai / rougit de ma compréhension / soudaine. »
Pensif au sein d’un bestiaire d’animaux domestiques ou sauvages, le poète aimerait parfois « être un chat / et ne plus jamais / ne plus jamais penser ». Mais il a quitté l’Éden, et s’il retient sa colère devant un monde laid et menaçant, c’est en approfondissant les variantes du réel qu’il atteindra à nouveau une relative propreté d’âme. Plus que de nombreux poètes urbains, ce campagnard du verbe sait admirablement scruter ce qui nous sépare et ce qui nous unit, le difficile amalgame du personnel et du social, et ce, toujours selon une impulsion qui se méfie de l’analyse. « Je tends des pièges à mon intelligence. Je traque la piste des bêtes de l’invisible. » En vers (Loin de nos bêtes) ou en prose (Les bonnes intentions), Benoît Chaput nous fait vivement souhaiter un nouveau recueil.
Quant aux deux plus récentes productions de L’Oie de Cravan, elles sont exemplaires de l’approche hybride favorisée par le poète-éditeur. Ni poésie, ni bande dessinée, Mr Non Pigeon de Nadia Moss et Schmo de Jeff Ladouceur méritent un rayon à part dans les librairies. Si les mots demeurent assez accessoires chez ces « poètes ymagiers », ceux-ci rejoignent pourtant tout à fait l’esprit des poèmes de Benoît Chaput. Alors que le trait de Nadia Moss peut se faire beaucoup plus sombre et inquiétant que celui de Jeff Ladouceur, ce dernier sollicite les rondeurs grotesques pour nous prouver la folie de notre normalité. Il n’y a qu’à souhaiter à ces deux artistes de rejoindre un public aussi « indisciplinaire » qu’eux.