Si un ancien premier ministre se définissait comme « un Chrétien dans la fosse aux lions », cette ex-politicienne pourrait être présentée – au figuré – comme une femme plongée dans la testostérone, car elle a évolué dans plusieurs milieux traditionnellement masculins (l’industrie du sport, celle de la bière et la machine politique).
En dépit de ce que son titre pourrait laisser entendre, ce livre est en français. Née à Montréal dans une famille d’origine italienne où, traditionnellement, les épouses « ne travaillent pas », Liza Frulla est représentative de sa génération de femmes actives et volontaires qui misent sur une carrière publique tout en étant mariées et mères. Issue du baby-boom, elle réalise tous ses rêves de carrière : d’abord au Journal de Montréal, dans le monde du sport, ensuite dans l’univers prospère de la bière Labatt, avant de sauter dans l’arène de la politique québécoise en 1989, puis en politique fédérale lors d’une élection partielle. Chaque fois pour le Parti libéral (au provincial comme au fédéral), qui lui offrait – sans qu’elle ait rien demandé – une circonscription montréalaise « sûre », ayant toujours voté rouge : « un château fort libéral », écrit la biographe. En 1995, Liza Frulla sera à la tribune du love-in réunissant des milliers de Canadiens anglais à Montréal, en tant que vice-présidente du camp du NON pour la campagne référendaire. Après coup, elle avouera avoir suivi les instructions : « On me disait d’aller à tel endroit, et j’y allais ». Et c’est ainsi que le destin d’une nation bascula. Anodinement.
Son image publique correspondait exactement au modèle de la femme d’affaires combattante qui semble s’imposer, se démarquer et de ce fait réussir. Plusieurs y ont cru. L’électorat féminin ne voulait plus voter pour tous ces candidats en complet-cravate. En tant que journaliste, le fait d’avoir été la première femme (ou presque) à être acceptée dans le vestiaire de l’équipe des Canadiens de Montréal constituait certainement un précédent riche en symboles. Sa vie publique la conduisit à côtoyer les élites québécoises et les célébrités du monde, à construire ses propres réseaux d’influence. Voulant tempérer son image de « diva », Liza Frulla explique avec franchise ses faux pas et admet que certains de ses choix de carrière ont été dictés par le salaire élevé qu’on lui offrait, par exemple pour justifier son passage de la politique provinciale vers Radio-Canada.
À l’évidence, Judith Lussier est admirative face à son sujet ; mais la biographe surestime parfois la place de pionnière de Liza Frulla en politique québécoise. D’autres politiciennes avaient laissé leur marque auparavant, depuis Claire Kirkland jusqu’à Lise Payette. Et la « maternité » de Liza Frulla quant à la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) est exagérée, car cet organisme est en partie le résultat d’une fusion entre la Société générale du cinéma du Québec (SOGIC) et l’Institut québécois du cinéma (IQC). Néanmoins, on apprend certaines choses dans ce portrait laudatif : par exemple qu’en 1985, à la brasserie Labatt où Liza Frulla œuvrait comme directrice du marketing, « plusieurs publicitaires embarquèrent dans la cellule stratégique de Bourassa » en vue de sa réélection. Avec cet hommage vivant, on revit en toile de fond le troisième gouvernement Bourassa de 1989 et le putsch contre Jean Chrétien ayant mené à la transition vers le gouvernement de Paul Martin.