Des entretiens menés par une historienne nous offrent un tour d’horizon complet de la carrière diversifiée de l’ancienne directrice du journal Le Devoir.
Sixième d’une famille de sept enfants, elle est née en Abitibi, à Rouyn. Ses parents, originaires de la région de Québec, sont partis s’y établir dans les années 1930. Rouyn et Noranda, villes séparées à l’époque, étaient plutôt cosmopolites, les compagnies minières américaines attirant leur lot de travailleurs immigrants. On s’en doute, enfant, Lise était une première de classe, une dévoreuse de livres. Elle regrette toutefois d’avoir dû vivre dans une sorte de désert culturel pendant ses jeunes années. Contrairement à ses parents, elle a fréquenté longtemps l’école, mais l’enseignement reçu était bien en deçà des capacités de la future doctorante. Elle avoue avoir « perdu des années d’un développement intellectuel » et avoir tenté toute sa vie de se rattraper. La période que l’on désigne comme la Grande Noirceur se caractérise plutôt, selon elle, par une blancheur, une absence où règne l’ignorance, où « le rien domine le temps humain », où l’analphabétisme pousse à « une vie d’ennui, de platitude, de fermeture », le véritable potentiel de chacun ne pouvant se déployer.
Toujours est-il que très tôt elle s’est impliquée dans le journalisme étudiant. Inscrite en éducation à l’Université de Montréal (malgré son amour pour les Lettres), elle collabora au Quartier latin. Elle participait à des congrès, intervenait peu, mais cumulait une expérience et des contacts qui allaient lui servir toute la vie. Boursière, elle fit des études de doctorat, sans les terminer, à Strasbourg et ensuite à Paris. Ce n’est qu’en 2015 qu’elle acheva une thèse de doctorat en lettres françaises sur Maurice Sand.
Sans surprise, une large place est consacrée aux années qu’elle a passées au journal Le Devoir, d’abord comme journaliste, ensuite comme rédactrice en chef et finalement comme directrice. En distinguant l’éditorial, le commentaire et le reportage, c’est à ce dernier qu’elle décerne avant tout des lettres de noblesse puisqu’il faut cerner les faits dans leur maximum d’objectivité, sans quoi éditorial et commentaire perdent toute pertinence. C’est d’ailleurs au nom de l’objectivité que, malgré ses penchants souverainistes, Bissonnette rapporta les propos tenus par Lise Payette comparant l’épouse de Claude Ryan, ancien directeur du Devoir et chef de la campagne du Non lors du référendum de 1980, à une Yvette, qui désignait une femme dépendante et soumise. Il n’en fallut pas plus pour qu’un immense mouvement de protestation manifeste bruyamment son désaccord sur cette dénigrante appellation. On devrait même à ce mouvement une bonne part de la victoire du Non, ce que l’on a reproché à Bissonnette.
Le quotidien était fort mal en point financièrement dans les années 1990. Pierre Péladeau imprimait gratuitement le journal, ce qui représentait un coup de pouce incroyable de la part de l’empire Québecor. Lise Bissonnette reste convaincue d’une part de misogynie dans sa nomination. En effet, si Le Devoirdevait fermer, aussi bien que ce soit sous la direction d’une femme ! Eh bien, elle s’en est fort bien tirée !
Un projet qu’elle a piloté et dont elle est particulièrement fière : la Grande Bibliothèque du Québec. Elle a dû essuyer moult critiques, mais le succès de cette bibliothèque a dépassé toutes les attentes. Les entretiens se terminent sur sa carrière littéraire.
Les repères biographiques, à la toute fin, suffisent à nous convaincre que cette femme calme et déterminée fait partie des bâtisseurs et bâtisseuses incontournables d’ici.