Le roman L’Iroquois de Pascal Millet commence sur une image forte, qui impose l’horreur à venir : Julien, le jeune narrateur, et Pierrot découvrent le cadavre pendu de leur mère, qui s’est suicidée à la suite de son congédiement. Vision dure, certes, mais qui ne bouscule pas d’emblée les jeunes frères. Se présente alors pour eux l’occasion longuement fantasmée de partir pour l’Amérique, ce territoire de l’espoir où l’imaginaire (télévisuel) des Indiens et des grands espaces permet d’abandonner la vacuité et la pauvreté d’une vie dans les cités françaises. Le roman est une quête de l’exotisme, ce lieu qu’on garde en soi comme l’ultime rempart à l’affadissement de ses illusions. Or, le voyage qu’entreprennent les frères tourne rapidement non pas au cauchemar, mais à l’abjection.
Pascal Millet cherche à décrire un monde usé, laissé à lui-même, où les blessures passées se muent en colères jamais refoulées, en hargne prête à se retourner contre de nouvelles cibles. Le trajet des frères est alors autant un chemin de croix, de souffrance en souffrance vers un échappatoire (la mer, déplacement d’une mère qu’ils voudraient retrouver) et une course pour libérer les affres de la violence qu’ils ont en eux. Dans cette relation rude entre Pierrot l’aîné autoritaire et Julien le soumis, la rage occupe une part de choix et les victimes sont nombreuses. Loin d’être à l’abri de la furie instantanée, Julien et Pierrot procèdent à la même violence que celle qu’ils subissent puisqu’un « enfant perdu, ça pouvait vite devenir un enfant méchant ».
Confession d’une fuite devant une vie faite de culs-de-sac, où les refuges ne sont que des simulacres télévisuels, L’Iroquois se complaît à l’occasion dans le morbide et l’examen de la purulence d’un monde sans pitié et ne parvient pas toujours à lier les épisodes d’une quête d’habitabilité vouée à l’échec. Les frères cherchent un foyer, des rapports humains dans les rencontres impromptues et ne voient que des détresses similaires aux leurs. Construit à la manière de La preuve d’Agota Kristof, le roman de Millet révèle une soif pour un ailleurs viable, mais ne l’articule pas suffisamment à l’effroi ressenti par les frères, qu’incarne pourtant dans toute sa complexité ce jeune narrateur apeuré, malgré tout à la recherche d’un interlocuteur.