À lire Liquidation, on se dit que l’attribution du Prix Nobel 2002 à son auteur n’est pas le fruit du hasard. Profondeur, inventivité ; voilà qui résumerait son dernier roman. Il y a de ces auteurs comme Imre Kertész qui nous rappellent à la nécessité de l’acte d’écrire. Pour le Hongrois, cet acte est intimement lié, pour ne pas dire enchevêtré, avec la vie. Ce n’est pas seulement que sa vie transparaît dans son œuvre, il semble qu’elle y trouve sa justification, que l’œuvre est le théâtre d’une rencontre avec l’essence de l’existence. Il s’en faut de peu que la place soit vide. En effet, le héros, philosophe, ne s’épargne pas les réflexions les plus pessimistes sur la nature humaine – « le monde est assassin » – et l’absurdité de sa vie. Dans Liquidation, il côtoie la mort par le suicide d’un ami qui fut un grand écrivain. « J’ai appris que la révolte c’est / RESTER EN VIE / La grande désobéissance c’est / de vivre sa vie / et aussi la grande humilité / que nous nous devons à nous-mêmes », lui dit Bé, son ami, dans une pièce de théâtre qui les met en scène. Je parlais d’inventivité : la pièce manuscrite commence avec la mort de l’écrivain qui anticipe avec génie ce qui adviendra après son décès. Keserù, qui est éditeur, cherche dans ce texte la preuve qu’il existe bel et bien un roman écrit par son ami. Il ne peut concevoir qu’un grand écrivain puisse mourir sans achever magistralement son œuvre par l’ultime genre. Que les notes et cahiers trouvés dans son appartement n’aient rien donné qui puisse être consacré devant l’éternel (le public) signifierait que la littérature, même, ne sauve personne de la mort. Pourtant c’est l’écriture qui donne sens au désordre de l’existence, lui avait dit Bé. Nous sommes perdus dans le tourbillon de la vie, mais la littérature, le seul acte véritablement grand de l’humain, nous empêche d’être anéantis par le chaos. L’improbable roman révélerait en somme le sens de cette mort. Parce qu’elle ne peut être insignifiante. D’autant plus que, pour le lecteur, la vie de Bé, sa naissance à Auschwitz d’une mère juive, n’est pas étrangère à l’idée qu’il se fait de celle d’Imre Kertész.
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