Si l’on a lu Une histoire populaire des États-Unis (Howard Zinn, 2005), un document incontournable, nécessaire à la compréhension ou, tout au moins, à l’approche d’une société composite, écartelée entre les tendances les plus diverses, une société qui a toléré tout le long de son histoire les pires cruautés tout en prônant l’égalité des chances pour tous, on accueillera l’autobiographie de son auteur avec le sentiment de côtoyer un intellectuel puissant, mais surtout l’homme de sens et de cœur qu’on appréciait déjà.
De son Histoire populaire, basée sur une recherche minutieuse, qui, à la différence de bien des travaux pourtant bien documentés dans le domaine, donne leur place aux humbles, au peuple qui vit au quotidien le poids des décisions prises, des projets menés par ses représentants, l’on passe dans L’impossible neutralité, à l’histoire personnelle, et très publique, de l’auteur. La démarche du chercheur avait déjà, du fait de cette vision transversale de la société qu’il décrit, une allure, une signification exceptionnelle, l’historien s’étant révélé attaché aux principes de justice et d’égalité que les fondateurs entendaient faire régner dans la nouvelle terre d’Amérique. Son autobiographie nous fait connaître au quotidien le militant des droits civiques, l’homme de courage tout au long de son existence, qui ne recule pas devant la réprobation, les menaces, qui protesta dans la rue, manifesta contre la ségrégation et autres injustices sociales ; il perdit un emploi, connut la prison, les tribunaux. L’impossible neutralité raconte cette vie consacrée à défendre l’égalité des droits dans un pays qui a constamment été divisé sur la question.
Déjà, dans un recueil d’essais paru en 2002, Nous, le peuple des États-Unis, Howard Zinn donnait les clefs de sa réflexion sur la liberté et la justice dans son pays. L’autobiographie, L’impossible neutralité, vient donc compléter le tableau d’une vie consacrée à défendre un idéal, une « leçon d’enthousiasme et d’optimisme sans illusions », notent les éditeurs.
Si les militants se définissent à travers les causes qu’ils défendent, ceux qui, tel Howard Zinn, ont un jour décidé de prendre parti pour la justice, sont des « justes » dans le sens le plus exigeant du terme. Mais laissons parler l’homme : « Mes héros étaient les fermiers de la Révolte de Shays, les abolitionnistes noirs qui violèrent la loi pour libérer leurs frères et sœurs, ceux que l’on emprisonna pour leur opposition à la Première Guerre mondiale, les travailleurs qui se mirent en grève contre la puissance des entreprises et défièrent la police et les milices, les anciens du Vietnam qui militaient contre la guerre et les femmes qui exigeaient l’égalité des sexes dans tous les domaines ».