Grand reporter américain ayant couvert les plus récentes crises internationales (Bosnie, Rwanda, Kosovo, Afghanistan), David Rieff a pu côtoyer longuement, sur le terrain, les acteurs des plus grandes organisations humanitaires mondiales, celles qui relèvent de l’ONU et des gouvernements nationaux des pays occidentaux, mais aussi les ONG bien connues du grand public (Oxfam, CARE, Médecins sans frontières, entre autres).
Concédant à ces organisations et à leurs travailleurs « de la compassion » une réelle admiration, l’auteur n’adopte pas moins une position critique sur leur évolution des dernières années. Face à l’accroissement des inégalités et devant la multiplication des foyers de tension dans le monde, plusieurs de ces entités ont délaissé peu à peu leur neutralité pour associer à leurs actions la promotion des droits de l’homme et le devoir d’ingérence, même au prix d’un soutien à aux guerres entreprises par leurs gouvernements.
Or, aussi angélique que puisse paraître cette position, elle n’en constitue pas moins une « instrumentalisation de l’humanitaire », qui force à une alliance étroite entre ces organismes et les États riches, pourvoyeurs de l’aide. Citant le cas de l’Afghanistan, David Rieff écrit : « […] cette sorte de libéralisme musclé, qui subordonne les besoins immédiats des victimes aux impératifs des droits de l’homme, bafouait les principes humanitaires en rendant l’aide aux victimes tributaire de la bonne conduite des États ».
Ce nouvel « humanitaire d’État » est en somme une forme avancée d’impérialisme qui ne dit pas son nom, les humanitaires étant devenus des « sous-traitants des gouvernements ». Il entraîne aussi une confusion des rôles, les humanitaires jouant à la politique et les gouvernements jouant à l’humanitaire.
L’auteur en appelle donc au retour d’un humanitaire indépendant, recouvrant son autonomie relative par rapport aux gouvernements. Tout en faisant ce cri du cœur, David Rieff livre à ses lecteurs un tour d’horizon unique, presque intimiste, sur les organisations humanitaires et leurs questionnements, qui saura passionner à la fois les néophytes comme les experts.