Comment de toutes petites filles trahies par les promesses que semblaient leur tenir la beauté et l’innocence du monde en viennent progressivement à se noyer dans leurs souvenirs et à voir devant elles fuir l’avenir qu’elles avaient imaginé.
Il est un art qui consiste à choisir ses exergues. Anne Martine Parent le possède. En ouverture, deux citations. La première, d’Olivia Rosenthal. La seconde, empruntée à Annie Ernaux. « On n’est pas là pour disparaître. » « Toutes les images disparaîtront. » Des tensions sont annoncées entre la volonté de résister aux forces qui annihilent et l’acceptation ou non de l’évanescence de notre imaginaire.
Rares sont les recueils dont la courbe est si bien marquée. Un début, un milieu, une fin ; une telle cloche narrative semble convenue, mais elle ne l’est pas lorsque la manière de raconter repose sur une fine dentelle de mots et d’images.
Tout commence par la représentation d’une chambre. On y pénètre à la suite d’un locuteur dont la discrétion laisse place aux objets ainsi qu’à leur puissance évocatrice. Ces « objets égrènent les souvenirs ». Il y a là « des livres qui ne s’ouvrent plus pour personne ». Cette chambre est celle d’un passé où, comme l’indique le titre de la première section de l’ouvrage, « Verticales », des fillettes se tenaient droites au sein d’un territoire qu’elles habitaient pleinement. Ces enfants vivaient dans « les rivières les lacs la mer » ; leurs cheveux étaient mouillés. L’autrice filera une très sensible métaphore avec ces cheveux. Au fil des pages, de mouillés qu’ils auront d’abord été, ces cheveux deviendront « fous », « mêlés », cassés; puis seront à nouveau mouillés. Les métamorphoses qu’auront subies les fillettes sont également accentuées par d’autres éléments. L’un des principaux facteurs de leur transformation est lié à la trahison. Celle-ci est annoncée dès le début du recueil. La première section a beau correspondre à la célébration d’un espace de liberté, elle annonce la déchéance prochaine, la fin de l’enfance, dont il aura été dit : « on ne touche jamais le fond de l’enfance ». Un tel fond est sans doute comparable au fond de l’eau attendant d’éventuelles noyées. Il est question « des reines qu’on trahira bientôt ». Le dernier poème de la section initiale débute par ce vers : « on nous trahira bientôt » et se termine par le mot « disparitions », mot faisant suite aux exergues.
Les « robes de mousse immaculées » du début connaîtront un sort comparable à celui des cheveux mouillés, puis finalement cassés. Viendra un temps où elles perdront leur pureté : « mes robes s’épuisent à me soutenir ». Notons au passage l’inventivité d’une telle formule. La poète, qui utilise désormais le je, a perdu sa consistance. À une chose aussi peu rigide qu’une robe était dévolue la fonction de faire tenir ensemble une femme qui allait s’effilochant. Peu à peu, celle-ci disparaît : « Je me quitte, trop petite robe ». Vers la fin du recueil, comme dans un soubresaut de vitalité, la poète manifestera le désir d’acquérir « une robe neuve ». Bien évidemment, nous voici au-delà d’un simple caprice vestimentaire.
L’horizon par hasard manifeste de très grandes qualités. Il est, par ailleurs, quelque peu troublant, sombre comme l’est souvent le fond de l’eau. Les deux dernières sections s’intitulent « Avant de disparaître » et « Effacement ». On y voit le je sombrer en eaux profondes : « Mes poumons emplis de roche je creuse les bas-fonds à la recherche d’une sortie de secours, d’une queue de sirène. J’ai de toute façon perdu mes jambes entre deux apnées ».