Depuis 2010, l’auteur s’est taillé une place de choix dans l’univers des romanciers québécois. De nombreux prix l’attestent. Ses romans sont attendus avec grand intérêt.
Dans L’horizon des événements, Achille Santerre est professeur de littérature à l’Université de Montréal au Québec (UMAQ). Sa spécialité : la littérature du début XXe siècle. Au départ, il devait surtout se concentrer sur Proust, mais comme ce dernier n’est pas « dangereux », il se fixe alors sur un auteur mal famé qui occupera dorénavant l’avant-scène de ses cours : Louis-Ferdinand Céline.
L’auteur du Voyage au bout de la nuit est pris à témoin pour tout ce qui arrive à Santerre : sa désillusion amoureuse, le monde universitaire à l’heure des nouvelles sensibilités, la garde partagée de ses deux enfants : Léo, 14 ans, taciturne, et Flavie, 10 ans, sans amis à l’école. Inquiet et protecteur, son père l’aimera toute « Flavie » (des formules de ce genre foisonnent dans le roman au style entraînant).
Achille Santerre, écrivain lui-même, a rédigé un essai bien reçu sur Céline : Écrire après le Voyage. Il ne voue pas un amour démesuré à l’auteur de Mort à crédit. Ses pamphlets politiques et antisémites, reconnaît-il, sont une catastrophe. Bien qu’il soit parfois fatigant de l’aimer, il reste que dans le Voyage « il y a des mots si beaux » que le narrateur ne pourra « jamais complètement désespérer des hommes ».
On assistera à la parution du second roman de Santerre : So watt. L’action se déroule en 2076, dans un Québec devenu indépendant grâce aux douze Premières Nations, la douzième étant celle des Québécois d’origine française. (J’avoue que j’aimerais bien lire ce livre du double de l’écrivain Biz. Qui sait ? Il verra peut-être le jour.) Mais So watt est soit snobé par ses pairs (on lève le nez sur la production d’un collègue), soit critiqué à travers les lunettes du régime diversitaire : qu’en est-il de la place des femmes dans ce roman, de la situation des Autochtones, de l’appropriation culturelle ? « Vous êtes un Québécois blanc francophone privilégié, de quel droit vous permettez-vous de prendre la parole au nom des Amérindiens, à qui votre groupe dominant a volé les terres ? » Coup de chance : Santerre aura droit à une entrevue à une émission d’après-midi à Radio Bla bla bla. L’animatrice relève qu’il manque résolument de femmes dans ce roman. L’auteur se défend en soulignant que ce n’était pas le cas dans son roman précédent, Rang croche. Il ne s’agissait pas d’un beau portrait de femmes, réplique l’animatrice bien informée. Poussé dans ses derniers retranchements, l’auteur avouera qu’en cette époque difficile pour les hommes blancs il a voulu éviter « l’appropriation sexuelle ».
J’ai trouvé particulièrement réussi le tableau que Biz dresse des changements survenus à l’université durant les 25 dernières années. D’un repaire d’hommes blancs cisgenres, elle s’est métamorphosée en lieu où il n’y a point de salut en dehors du régime diversitaire. Tout le cursus est revu à travers la grille d’analyse intersectionnelle, l’émancipation des minorités et le discours dominant-dominé. Avec les jalons mis en place (la polarisation des discours, l’épuration idéologique), le lecteur pourrait s’attendre à ce que Biz le mène dans une certaine direction, mais quelques surprises le guettent au tournant.
Achille Santerre consultera les réseaux de rencontres en ligne à la recherche d’un match parfait. Après les difficultés qu’éprouve l’homme blanc hétéro à se faire une place dans l’enseignement et la création, nous devenons les témoins de ses déboires dans le domaine amoureux. Heureusement, le mouvement #MeToo n’a pas complètement tué l’amour.