Emballant projet de « micro-édition éphémère », Les petits villages consiste en une série de recueils pour lesquels différents poètes se voient proposer une forme de résidence dans un village québécois de moins de 400 habitants. Noces de la mémoire et du dépaysement, ces périples se distinguent considérablement de l’esprit touristique et viennent combiner les regards du documentariste et du découvreur.
Initiateur du collectif, Bertrand Laverdure a aussi produit le premier épisode d’après un séjour à Sainte-Rose-du-Nord, magnifique endroit situé sur les berges du fjord du Saguenay, et qu’on nommait jadis La-Descente-des-femmes. Intitulé L’homme au stylo gel, ce premier opuscule est d’abord une gravitation entre vingt villageois, dont les prénoms fournissent leurs sous-titres à vingt courts poèmes. Tel un insecte mellifère, le poète tire de chaque rencontre un faisceau de pollen, lequel permet la confection d’une matière aussi douce que propice à la conservation. Qu’advient-il ici de « Linda », par exemple, en qui « [n]ous aimerions [ ] voir un personnage / du terroir nouveau / habile à trapper les uns, vive de parole », ou de « Diane », « [s]Sur jumelle d’un amour / que l’on répand avec des pages » ?
Bertrand Laverdure, avec ses cinq recueils précédents, avait bâti un style foisonnant et gargantuesque, atteignant une densité proche de l’hermétisme, si ce n’était de l’étrange et forte émotion qui surgit, imprévisible, dans les détours syntaxiques de ses poèmes. Dans cette petite suite, qui est bien plus qu’un exercice documentaire, on voit s’amorcer un travail de miniaturiste où il canalise à merveille l’ampleur perceptive et langagière dont il est capable. Ainsi, au goutte-à-goutte, on n’aperçoit que mieux son originalité.
Empruntant le même graphisme à la fois sobre et singulier, Taxi dancer de Jean-Éric Riopel nous transporte sur la Basse-Côte-Nord, dans les deux villages anglophones de Harrington Harbour et de Chevery, ainsi que sur le bateau-taxi qui les relie. Butinant lui aussi les êtres, les choses et les références historiques ou littéraires, Jean-Éric Riopel parvient déjà, avec son propre ton, à créer une sorte de continuité avec le livre de Bertrand Laverdure. Descriptif, erratique, parfois cocasse, il fait aussi preuve d’un habile minimalisme. « C’est le vent qui mène / du lundi au dimanche / sur la mer comme au ciel. / Et les poteaux électriques | sont des brindilles fragiles / au bout du réseau. / On jurerait / qu’ils ne sont pas plantés / dans le bon sens du courant. » Puis, aux deux tiers de son périple dans les anciennes « Ysles de la demoiselle », le poète nous embrume l’esprit avec la légende de Marguerite de La Rocque, qui deviendra son mythe personnel. Ici encore, on a l’impression de redécouvrir l’auteur de Papillons réfractaires, le prétexte des Petits villages semblant être une occasion pour les auteurs de s’écarter légèrement de leur identité.
Ceux qui, après d’âpres recherches, ne parviendraient pas à trouver ces volumes pourront écrire à l’adresse électronique suivante pour les commander : [email protected].