Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Pour toute une génération, la salle de spectacles Le Rising Sun de Montréal aura été le temple de la musique afro-américaine, et ce, à partir de 1975. L’auteur de ce livre, mieux connu sous le nom affectif de Doudou Boicel, en a été le propriétaire et le promoteur dévoué. Cette salle de spectacles était située au 286, rue Sainte-Catherine Ouest, au coin de la rue Jeanne-Mance.
L’histoire de ce lieu presque mythique se confond avec le récit autobiographique proposé ici par Rouè-Doudou Boicel : ses origines dans la Guyane française, son bref séjour à Paris, puis son arrivée à Montréal en 1970, à une époque où les boîtes de jazz, naguère florissantes, y disparaissaient progressivement. À lui seul, Rouè-Doudou Boicel contribuera à faire revivre la musique afro-américaine sur la scène montréalaise, en invitant les précurseurs du R&B (Cab Calloway), les légendes du jazz (Dizzy Gillespie, Joe Pass) et les plus grands bluesmen de tous les temps (B.B. King, Lightnin’ Hopkins, John Lee Hooker, Muddy Waters). En ce sens, Rouè-Doudou Boicel aura remis Montréal sur la carte des grands circuits du jazz et du blues ; par ricochet, il aura permis à certains des bluesmen qu’il invitait de se produire à Québec, au Café Campus (de Sainte-Foy), surtout entre 1977 et 1981. Des artistes locaux se produisent également au Rising Sun : le très montréalais Stephen Barry Blues Band, mais aussi Karen Young, Guy Nadon, Diane Tell, à qui Rouè-Doudou Boicel tiendra des propos irrespectueux.
En témoignages, en anecdotes et en photos, ce livre carré permet de revoir une multitude de légendes de la musique du XXe siècle lors de leur passage au « Soleil levant ». Les confidences, parfois indiscrètes, montrent des artistes profondément humains et parfois capricieux : un Stan Getz complètement ivre qui arrivera en retard sur scène, un Art Blakey proférant des menaces physiques dès son arrivée au club de Rouè-Doudou Boicel, et la scandaleuse Nina Simone qui refuse de régler sa note d’hôtel au Méridien.
En outre, on trouve la transcription inédite de brefs entretiens réalisés par Rouè-Doudou Boicel avec de grands noms du jazz et du blues, dont Archie Shepp, Taj Mahal, Willie Dixon. En prime, on lira une incroyable lettre d’insultes manuscrite adressée à l’auteur, reproduite en fac-similé, signée de la main même de la chanteuse Nina Simone. Rouè-Doudou Boicel est le survivant d’une époque révolue.