Nil a quitté son pays natal au fond d’une cale de bateau en partance pour Québec. La voici errant en plein cœur de l’été 1988, au volant d’un modèle Ford F100 volé, troublant insolemment le silence de plomb de la campagne bas-laurentienne.
Flanquée de sa renarde alter ego, comme elle maligne et mal léchée, domestiquée mais pas trop, elle maraude et barbotte tout ce qu’elle trouve, conjuguant l’économie de survie à un savant art de la débrouille. Puis l’anti-héroïne de ce second roman de Miléna Babin, ni belle ni sympathique par ailleurs, échouera au Gueuleton, coquet restaurant tenu par Jacob, qui joindra sa voix à la narration autrement assurée par la femme et une instance omnisciente.
Jouant habilement avec les retours en arrière, éclairant à rebours les motivations de ses personnages dont elle sait retarder le dévoilement afin de maintenir bien vif l’intérêt du lecteur, l’auteure louvoie entre les histoires multiples et leur temporalité respective. Séropositif, Jacob complote pour dérober la production d’une safranière et ainsi pouvoir se procurer l’AZT, traitement rarissime au coût prohibitif, le seul offert à l’époque contre le VIH. Nil, de son côté, énigme quasi totale, pratique la fuite en avant. Yoav, son frère psychopathe et principale raison de son échappée, se lance à ses trousses, tandis que l’oncle John tente de refaire sa vie dans le coin du Bic.
À l’autre bout de la planète, satisfaite des avantages d’un tout nouveau puits, une famille indienne cultive elle aussi le safran ; nouvellement nubile, Alaka a honte de ses règles et les dissimule du mieux qu’elle peut quand elle se rend aux champs ; son frère Amar, lui, goûte pour la première fois à la précieuse épice à propos de laquelle il livre un verdict éclairant : c’est bel et bien le sang que lui rappelle le goût ferrugineux des stigmates. Le safran et le sang sont en fait les fils rouges qui tiennent entre elles les nombreuses destinées inscrites dans L’étrange odeur du safran. Ils sont à la fois les ingrédients et le liant d’une préparation aux parfums d’exotisme, de drames intimes et de quêtes d’un meilleur jour. Ces trames et d’autres encore s’entremêleront, tandis que le point central du récit demeure la relation entre Nil et Jacob, association étrange, pur fruit du hasard qu’un chalet reculé dans les bois et quelques semaines d’une embarrassante promiscuité feront mûrir rapidement.
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