La nouvelle n’a pas fait grand bruit, mais le romancier sud-africain J. M. Coetzee, Nobel 2003, est mort et au sommet de sa forme ! En fait, dans L’été de la vie, Coetzee poursuit son projet autobiographique, entamé en 1997, en imaginant qu’après sa mort, un universitaire anglais, M. Vincent, se prépare à écrire sa biographie. Vincent privilégie les années 1971-1977, marquées par le retour de Coetzee en Afrique du Sud et la parution d’Au cœur de ce pays, son deuxième roman mais son premier succès auprès du public. Vincent est persuadé qu’à cette époque décisive de sa vie, Coetzee se cherchait en tant qu’écrivain. L’été de la vie se présente comme un ensemble de matériel préparatoire à une biographie dont on ne lira pourtant pas la moindre ligne. Vincent expose plutôt le fruit de ses rencontres avec cinq personnes ayant compté pour Coetzee : une ancienne maîtresse, une cousine affectionnée, une Brésilienne au tempérament bouillant et deux collègues enseignants.
On entre sans difficulté dans ce troisième volet des Scènes de la vie de province (le titre anglais de la série, non repris en français, sans doute à cause de sa trop forte résonance balzacienne). Il n’est pas nécessaire d’avoir lu les Scènes de la vie d’un jeune garçon (Boyhood, 1997) ni Vers l’âge d’homme (Youth, 2002) pour prendre plaisir à la prose, limpide et orfévrée, du romancier de Disgrâce, qui signe avec ce livre un autre chef-d’œuvre.
Coetzee adopte une perspective autobiographique pour le moins originale. Il ne se contente plus, comme dans les deux volets précédents, d’une narration distanciée (au « il ») ; il semble même y avoir en partie renoncé, puisque L’été de la vie débute et se termine par des fragments de carnets intimes. Or, par un ingénieux tour de force, il réussit à se reléguer au second plan et à enchaîner d’émouvantes bribes d’expériences (conjugales, familiales ou sociales). L’apartheid est évoqué, de même que l’ascendance afrikaner, mais conformément au style coetzéen, c’est-à-dire sur le mode du drame et de la déroute individuels.
Quant à l’autoportrait (peu flatteur) qui se dégage de L’été de la vie, il révèle un rare don de s’objectiver. Il faut un romancier de haute volée pour en arriver à saisir, de manière aussi crédible, implacable et mystérieuse à la fois, la perception qu’autrui peut avoir de soi.