Le temps. Celui qui passe, celui qui est, celui qui sera. À l’intérieur de ces temps, la vie. Une vie : celle de l’autrice. Reprenant la forme qu’elle avait explorée dans Tout doit partir (2017), elle centre ce coup-ci son texte sur sa relation avec son amoureux, tissant des liens entre les deux récits.
S’il faut partir, serait-il possible qu’il faille revenir ? « Tu ne sais pas ce que je veux dire quand je ne sais pas où revenir », dit-elle à son amoureux. Mais elle doit revenir. Non pas à ce qu’elle était, mais à ce qu’elle est au plus profond d’elle-même. Cette volonté oriente sa réflexion alors qu’elle retrace le parcours de sa vie, de son adolescence à aujourd’hui, étape de la vieillesse, mais « t’es belle pareil », lui soufflera-t-il à l’oreille, « un joyeux pareil rempli de notre âge ».
Tout a commencé par une fugue : elle, une adolescente de 15 ans, s’enfuit de Matane avec lui, un adolescent de 17 ans, un matin de février 1970. On les retrouvera un mois plus tard à Gaspé. Les parents sépareront les enfants, plaçant la fille dans un pensionnat à Québec. Il viendra la voir, puis le temps les mènera dans des directions différentes. Ils se marieront, auront des enfants, feront carrière, elle à Québec, lui à Matane. Vingt-cinq ans passeront. Le hasard les remettra l’un en face de l’autre comme si le temps passé n’avait été qu’un entre-deux. Puis ce sera le retour à Matane : « Après être revenue par amour pour toi ou par amour de notre histoire, ce n’est pas très clair, il a fallu que j’apprenne à t’aimer autrement que comme mon compagnon de fugue ».
Fournier procède par petites touches. Les chapitres débordent rarement et de peu les trois pages, ce qui était également le cas du livre précédent. Dans une entrevue à Radio-Canada, elle dit que c’est une influence de son métier de monteuse, car elle est cinéaste : « Enlever pour ne garder que le moins possible qui exprime le plus possible ». Elle densifie le sens.
Tout en suivant la chronologie des événements, l’autrice joue avec la temporalité, laissant sa plume voguer au rythme de sa pensée. Elle crée un climat empreint de douceur, de délicatesse comme si le regard qu’elle porte sur sa vie et, surtout, sur sa relation amoureuse la remplissait d’une infinie tendresse. Tout n’a pas été facile ou simple, et elle aborde les aléas de sa vie, mais par la finesse du style, elle réussit à transposer le quotidien, les menus gestes, les drames et les joies en un chant qui pour être écrit avec simplicité rapproche sa prose de la poésie.
Demeure le fait que « nous vivons depuis vingt-cinq ans dans cette histoire d’il y a cinquante ans, entre ce que nous sommes et ce que nous avons été. J’aime ne pas être avec toi trop souvent, pour ne pas délaver l’amour ; tu es mon vêtement du dimanche ». Et son écriture est tout aussi soignée.