Je suis totalement ignorant en géographie. Bien sûr, je ne confonds pas la République des Maldives avec la Moldavie et je sais que la Mauritanie n’est pas le Bénin. Mais moi, psychanalyste et modeste homme de lettres passionné de littérature haïtienne et antillaise, je n’ai jamais appris à commenter des cartes – même si Jean Morisset m’a appris qu’on pouvait les rigoureusement rêver, ce qui m’a conduit à m’intéresser à des questions comme celles du territoire, du voyage, du métissage ainsi qu’à l’épistémologie du déplacement et du mouvement tels qu’on peut les dégager des textes littéraires. Pourtant, avant de connaître le fascinant parcours que Georges Anglade nous dévoile dans ces entretiens, je n’avais pas pris conscience à quel point la mise en relation profonde espace-temps-société s’avère fondamentale pour entendre les fondations de la logique sous-jacente des agencements de l’espace haïtien. Ignorance de ma part ? Évidemment. Reste que la lecture de ce géographe épris de démographie et par « le transfert d’une problématique de la physique à l’humain » permet d’envisager l’impact du terrain sur la parole et les filiations transgénérationnelles.
C’est grâce à sa triple formation en géographie, cartographie et démographie que Georges Anglade, l’un des pionniers du Département de géographie de l’UQAM et récipiendaire du Prix José Marti de l’UNESCO, aura permis de comprendre les mécanismes, non pas du développement, mais du « désenveloppement » des enveloppements coloniaux, de la continentalisation des Amériques au XXe siècle, de l’émergence des bidonvilles comme nouvel espace à part entière. Il s’agit là d’une géographie sortant de la description empirique et appelant des outils théoriques inédits faisant état du fait que le paysage est un construit historique et socio-politique.
Et comme si cela ne suffisait pas, voilà désormais Anglade écrivain, développant le genre spécifiquement haïtien de la lodyans, un art de l’oraliture et de la miniature prêtant à tous les rythmes du rire et, par sa force critique, plongeant dans les générations du pays. Pour ma part, je n’ai qu’un souhait : qu’il puisse, malgré toutes les déceptions accumulées dans sa vie de théoricien et de politique, trouver dans la fiction un outil de sublimation à la mesure de sa pensée et de celle de son peuple.