« À qui rend-on son âme quand on en a fini, maman ? » La réponse se fera attendre quelque peu, car maman est fatiguée et se sent bien seule face aux exigences de la vie. Même l’écrivain de passage qui a rasséréné l’horizon familial ne parvient pas à devenir auprès de Florence une présence assurée. Thomas regorge de qualités, mais la partance fait partie de ses gènes. L’enfant détestera que Thomas, autre homme aux « semelles de vent », reparte en laissant derrière lui une femme au cœur en berne. Quand Thomas perdra pied et s’écrasera au fond d’un précipice, il faudra quand même que la vie reprenne. L’enfant aidera sa mère à vivre. « D’une manière, dit-elle, je voudrais l’aider aussi à mourir, mais il faudrait que je sache que c’est le temps de commencer. »
Fatigue, vieillissement, infirmités, mort prennent ici beaucoup de place. Hélène Harbec ne leur permet pourtant pas de répandre la dureté de cœur ou la dépression. Florence est fatiguée, mais elle se penche avec empathie sur les personnes aux prises avec la solitude et l’âge. C’est elle qui persuade l’enfant de pardonner au père qui a trop bu et qui a disparu. La voisine, discrète et chaleureuse, comble les besoins de l’enfant et d’une Florence exténuée. Les choses sont dites sans mièvrerie, personne ne parle le langage de l’immolation ou du misérabilisme, les valeurs reçoivent leur dû même si le système bouscule et épuise, la mort est envisagée comme un fait mystérieux et inéluctable.
Sans doute parce qu’elle demeure professionnellement en contact avec les enfants, Hélène Harbec met dans la bouche de la petite Céleste les superbes et inimitables formules que le jeune âge invente et qu’on déprécierait si l’on en faisait des bibelots. Hélène Harbec ne commet pas cette indélicatesse. L’écrivaine est capable de belles habiletés. C’est ainsi que plusieurs des cartes postales expédiées par Thomas dans les jours précédents sa mort parviennent à Florence après le décès. Comme si le deuil pénétrait à pas mesurés dans l’univers de Florence.