L’écriture se déploie en descriptions, en impressions, en remémorations et en commentaires. L’action s’amorce avec lenteur dans la tête de l’impressionnable Arièle, personnage principal dont le narrateur adopte le point de vue. La phrase serpentine épouse le mouvement sinueux de sa pensée, ce dimanche, au retour de sa thérapie de groupe par le chant. Dotée d’une magnifique voix d’opéra qu’elle travaille quotidiennement, Arièle se refuse pourtant à faire de la scène, se contentant de petits boulots en studio. Il faudra deux hasards à quelques jours d’intervalle pour que le rythme de l’action, ralenti par les réflexions de la jeune femme, prenne son élan : le sac oublié sur la banquette d’un wagon de métro par un garçon d’une dizaine d’années qu’elle imagine en fugue ou délaissé, qui s’avérera un habile rappeur et patineur du skate parc, et la collision avec un cycliste alors qu’Arièle allait traverser la rue, le très attentionné Sidney. La trentenaire fait ainsi la connaissance du monde des rouleurs, dans différents sens du terme
Arièle souffre de vertiges depuis la mort de son père et le départ de Patrick, son ex-compagnon, particularité que lui a attribuée la romancière pour souligner son malaise face aux situations qu’elle ne maîtrise pas. Hésitations, suppositions et scénarios de toutes sortes freinent son action. Il faut dire que sa quête, aider le petit garçon de la rue, renfrogné, muet, sauf pour cracher des fuck you man, est particulièrement délicate. En obéissant à son élan empathique, la jeune femme fera une importante découverte sur elle-même, qui l’amènera à prendre le risque de s’engager, et lui permettra de rendre compatibles ses deux passions, le chant et le besoin viscéral de venir en aide aux jeunes au bord du gouffre. Arièle sait voir derrière les apparences de ces jeunes qui se donnent des airs de durs.
Madeleine Monette a un don pour créer des images inattendues mais tellement justes qu’elles font voir et entendre. Elle puise dans un vocabulaire très étendu, empruntant avec autant de naturel à l’argot des jeunes de la rue qu’à la terminologie spécialisée du chant. Un propos à résonance psychosociale, dans un espace qui reproduit le côté sombre de la ville contemporaine, coulé dans une forme littéraire remarquable, fait des Rouleurs une œuvre qui pourrait bien figurer dans une éventuelle comédie humaine de notre époque.