Même si Kathy Reichs triche un peu en laissant son anthropologue vedette quitter fréquemment son laboratoire et rejoindre les enquêteurs sur un terrain qu’ils aiment bien se réserver, nul ne s’en plaindra, car l’intrigue proprement policière y gagne en relief et en imprévus. Si imprudence il y a, elle se situe ailleurs : dans la tentation d’utiliser les extrêmes raffinements de l’anthropologie judiciaire en lieu et place des questionnements moins pointus ou plus classiques. Quand, par exemple, la spécialiste des os doit mettre à contribution la spécialiste des fleurs, le défi lancé au lecteur de romans policiers change de nature. Le raisonnement ne vise pas à chercher le mobile, le profit, l’enjeu, car ces clés ne jouent plus. Le lecteur devient passif, heureux sans doute d’apprendre ce que certaines anomalies génétiques peuvent changer dans la longueur des os, mais incapable de rivaliser de rigueur avec l’auteure. Kathy Reichs aurait raison de répliquer que l’heure n’est plus aux cellules grises d’Hercule Poirot, mais aux verdicts du microscope ou de la balistique. Ne refusons donc pas une place au soleil à un type d’enquête qui convient admirablement à notre temps et qui, surtout, constitue une réplique adéquate à une criminalité différente.
Kathy Reichs a également raison de pourvoir sa spécialiste Temperance Brennan en émotions et en réflexes banalement quotidiens. Quand Tempe parvient à s’éloigner des cadavres et des ossements, elle établit des relations humaines avec sa fille ou tel ami policier et s’avoue vulnérable à la fatigue, au découragement, à la frustration. La scientifique n’y perd rien, bien au contraire.
En somme, un bon roman policier auquel fait défaut un certain souffle. Le risque majeur demeure cependant celui du dérapage. Autant l’auteure séduisait en révélant les possibilités de l’anthropologie judiciaire, autant elle brouille les perspectives et provoque une certaine confusion quand la laborantine mène des entrevues qui ne sont pas de son ressort.