Ludmila Petrouchevskaïa a publié son premier ouvrage en 1972, sous Brejnev, à une époque de durcissement idéologique, marquée par la peur et l’exil de ses écrivains. Il lui a fallu attendre dix ans avant de voir édité à Moscou son second livre. Depuis ce « dégel », une trentaine de romans et recueils de nouvelles ont fait la renommée de cette auteure russe. On l’a d’abord connue ici avec Immortel amour et La nuit m’appartient, roman bouleversant et cynique, paru comme l’autre dans les années 1990 chez Robert Laffont.
Les nouveaux Robinsons réunit une quinzaine de nouvelles fantastiques ou étranges publiées dans diverses revues. Voilà un univers fascinant, entre fable et réalisme tragique, entre ciel et boue, entre mort et vie. Des femmes et des hommes y ont froid, y ont faim. Ils errent dans des steppes infinies, des forêts denses, des décharges, traînent leurs blessures sur les larges avenues d’une possible Léningrad, les ruelles grises et puantes de Moscou, où c’est toujours chacun pour soi. La Russie de Ludmila Petrouchevskaïa est immobile, voire statufiée. Difficile de dire à quel moment se situe telle ou telle nouvelle. Durant le communisme, avant, après ? Dans l’éternelle pénurie des marchandises, on avale sa bouillie. On est soldat dans une éternelle guerre. On bat sa femme. On boit. On s’en fait pour ses fils et filles. Mais surtout on vit dans la connaissance d’un autre monde. Derrière les murs, les morts nous entendent, préparent leur vengeance, ou nous appellent.
Les croyances païennes et chrétiennes orthodoxes pétrissent depuis des siècles le mode de vie des Russes. Encore aujourd’hui, on s’étonne de voir une telle foi dans l’au-delà chez un peuple interdit de religion pendant plusieurs générations. Pourtant, rien de plus normal quand la vie quotidienne vous laisse à ce point insatisfait. C’est cette Russie-là que nous dépeint merveilleusement l’auteure : le pays d’à côté, où chacun, pour une fois, paie son dû.