Comme toujours un bon moment de littérature arrive sans prévenir. Ce livre, ou plutôt cette série de nouvelles indépendantes mais collées par le froid sibérien, est né d’une histoire vraie. Comme toujours les petites choses lumineuses de la vie, dans des circonstances extrêmes, forcent le respect et captent définitivement le lecteur.
Les histoires se déroulent dans une petite ville de Sibérie des années 1940, dans une sorte de camp composé de gens hétéroclites mais qui partagent cette note à leur dossier : élément hostile à la doctrine.
Rêver au pain, mourir d’une balle et non pas de faim ou de froid, résister et vivre des curieux miracles du quotidien. Pétia, le narrateur et auteur, était, à l’époque, un petit garçon de huit ans. Il avait parfaitement assimilé la mesquinerie des gens et saisi la duplicité du système. Pétia devait survivre et grandir à l’ombre de Beauté, sa mère, dans le sillon des expériences vécues avec les copains de l’orphelinat, ce goulag pour mineurs.
La fréquentation régulière de la grande faucheuse donne une profondeur sublime à cet écrit. Quand la mort est sur le seuil, la vie est plus exaltée. Ainsi, il n’y a rien de lugubre dans ce récit autobiographique qui aurait pu vite devenir une litanie des horreurs sous un régime despotique. Bien entendu chaque page évoque le système étouffant du stalinisme et la peur auto-générée pour maintenir l’enfer. Les femmes dénoncent leurs maris, les enfants trahissent les parents et pour quoi ? Par obéissance. Ils ou elles n’obtiennent rien en échange, ou peut-être le sentiment du devoir accompli et l’impression de participer à la machinerie soviétique impitoyable : liquider tous les traîtres. Eux avant nous. Mais notre tour viendra
Ça fait froid dans le dos, pourtant l’auteur retrace ses souvenirs avec une poésie d’une brutale douceur. Le garçon apprend les rimes des poètes russes, entre autres celles de Lermontov, et écrit lui-même des poèmes déchirés, désespérés, témoignant de son existence intense et tragique. Il veut vivre sans se faner. Vivre selon son cœur.
Et le croirez-vous ? Comme toujours la fin arriva sans prévenir.