Non seulement les morts ne sont pas morts, mais ils parlent, ils plaident, ils exigent. On peut essayer d’endiguer leurs voix, mais ils pénétreront quand même à l’intérieur des pensées. Ce qu’ils disent, il faudra bien, tôt ou tard, l’entendre. Même s’ils demandent rien de moins que le don de la vie. En cela, ils sont cohérents : puisque les morts ne sont pas morts, les vivants n’ont pas à craindre l’heure de la mort.
En prêtant l’oreille aux morts qui ne sont pas morts, Melchior Mbonimpa assure la continuité entre l’Afrique dont proviennent ses héros et le pays d’accueil où certains d’entre eux sont venus chercher une certaine sécurité. Les morts rappellent aux vivants que la sécurité n’est pas le dernier mot de la vie, qu’il faut parfois consentir aux ultimes sacrifices pour que, là-bas, la corruption soit combattue et que l’espoir renaisse. Et les vivants, un à un, de toutes les générations, reçoivent l’invite et y réagissent : ils doivent songer à leurs racines, mériter le respect des ancêtres, s’intégrer à leur cheminement vers la liberté et la dignité. Le reste est affaire de conscience et de lucidité. Tous n’ont pas à retourner au pays de leurs origines et à s’y faire trucider ; certains trouveront leur voie dans l’un ou l’autre des pays d’ailleurs. L’important, c’est de ne pas laisser la mort contrôler la vie.
Ce roman, autant et plus que les deux précédents, indique à quelles balises obéit l’auteur. Melchior Mbonimpa a d’abord publié de substantiels essais sur divers aspects de la situation africaine. On pense, par exemple, à La « Pax Americana » en Afrique des Grands Lacs (Vents d’Ouest, 2000). C’était, dit-il lui-même avec un sourire, pour se plier aux exigences universitaires. Parvenu au stade qu’il visait, il emprunte maintenant un autre genre littéraire pour révéler les Africains au monde et le sensibiliser aux mSurs et aux intuitions de l’Afrique. Ses romans, celui-ci en particulier, vont bien au-delà de l’exotisme. Ils ouvrent sur une spiritualité et une profondeur culturelle dont l’Afrique est encore prête à nous faire don.