Elles se sont connues sur les bancs de l’Université Laval voilà soixante ans et ne se sont jamais perdues de vue. Lise Gauvin s’entretient avec son amie Marie-Claire Blais. Portrait d’un monstre sacré de la littérature.Les lieux du titre, ce sont les endroits significatifs, ceux qui ont compté et qui comptent pour Blais : Québec, Montréal, Paris et Key West, où elle vit depuis quelque quarante ans. C’est là, tour à tour, au Québec, en France et aux États-Unis, que Gauvin et elle se rencontrent, d’abord à quelques reprises au fil des ans et des colloques, puis pour ce projet, de 2016 à 2019. De ces lieux physiques il est question dans chacun des entretiens qui forment l’ouvrage.Il est aussi et surtout question de ce qu’Annie Ernaux appelle « le vrai lieu », l’écriture. On découvre comment Blais a travaillé et comment elle travaille encore assidûment, à 80 ans, ce qui a bougé dans sa conception de la narration et des personnages, dans le plus précis : choix des pronoms personnels, abandon de la ponctuation classique ; comme dans le plus large : thèmes et observations sur la société. On suit et on revisite avec elle son parcours, toute chronologie bousculée.Leurs échanges nous informent aussi bien sur la personnalité de la romancière que sur les gens qui ont transformé son rapport au monde, ou sur sa vision de la littérature : sa timidité, son désir d’écrire dès son tout jeune âge, dans un milieu socioéconomique qui favorisait assez peu la création artistique, sa rencontre avec quelques professeurs marquants – Jeanne Lapointe, le père Georges-Henri Lévesque, Charles Moeller –, des peintres et des écrivains, des artistes américains, canadiens ou français. On croise aussi Proust, un auteur qu’elle a lu et relu, comme on croise l’abject et inculte Donald Trump, envers qui Blais n’est pas tendre et qu’elle compare à Mussolini et à Staline, rien de moins : « Je crains qu’il ne détruise l’humanité ».Timide, Blais répète qu’elle a trop souvent manqué d’audace, et que ce manque n’a pas favorisé le retentissement prolongé de son œuvre : « […] si j’avais été l’adulte que je suis aujourd’hui, j’aurais arrangé les choses autrement. J’aurais répondu aux journalistes. J’étais trop farouche, trop intimidée. Cela aurait permis que [mes] livres résistent au temps. […] [C]ela aurait été mieux pour la continuité des gains matériels ».Dans le même ordre d’idées, Blais redit sa déception à propos du fait que la réception de son œuvre a souvent été moins bonne ici, au Québec, qu’ailleurs, au Canada anglais ou en Europe. En contrepartie, elle fustige à quelques reprises le milieu littéraire parisien, une jungle implacable, en particulier à l’endroit des femmes : « C’était très dur [dans les années 1960] pour une femme de s’imposer et je voyais combien Françoise Sagan, par exemple, était exposée à des trahisons ».Ces entretiens présentent un certain décousu et je me demande s’il n’aurait pas été préférable de regrouper plus finement les propos, thématiquement, par exemple. Mais nous ne serions plus dans l’entretien libre. Ils offrent aussi, et c’est sans doute compréhensible, des transitions brusques. Enfin, cet exercice donne lieu à des redites, certaines qui répètent en prolongeant, d’autres qui semblent plus ordinaires, uniquement liées au fil de conversations abandonnées et reprises à distance.Marie-Claire Blais poursuit une œuvre importante et imposante. J’ai le sentiment, peut-être infondé, qu’elle est trop peu lue. Que ses œuvres sont de celles qu’on découvrira ou redécouvrira sur le tard, s’il reste encore des lecteurs bienveillants. Préparer ces lecteurs, leur faciliter le chemin, c’est certainement là un des objectifs de Lise Gauvin.
LES LIEUX DE MARIE-CLAIRE BLAIS
ENTRETIENS
- Nota bene,
- 2020,
- Montréal
204 pages
23,95 $
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