L’assassinat de quatorze jeunes étudiantes de l’École polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, demeure encore aujourd’hui une plaie ouverte pour la majorité d’entre nous. Qu’un auteur se lance et ose remettre en question la qualité des liens actuels entre les hommes, les femmes et le féminisme ne peut être que bénéfique pour tous.
Avant de passer aux actes, le tueur Marc Lépine avait à l’époque brutalement déclaré, sans ambiguïté aucune : « Vous êtes des femmes, vous allez devenir des ingénieures. Vous n’êtes toutes qu’un tas de féministes, je hais les féministes ». Ces mots donnent toujours froid dans le dos. Afin d’aller au-delà de cette sinistre affirmation, Francis Dupuis-Déri, auteur des Hommes et le féminisme, a voulu comprendre ce que sont les nouvelles masculinités. Né à Montréal en 1966, le chercheur est spécialiste de l’antiféminisme et de l’anarchisme. Il est professeur au Département de science politique et à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
« On s’intéressera ici surtout aux rapports sociaux, soit une relation de pouvoir entre deux groupes (classes) inégaux aux intérêts contradictoires, et souvent marquée par des dynamiques de domination, d’oppression, d’exclusion, d’exploitation ou d’appropriation et d’aliénation », explique-t-il. L’essayiste et expert sait trop bien à quel point la planète Terre ne connaît hélas pas encore la fin des inégalités entre hommes et femmes. Il sait aussi que sous le couvert de l’appellation « homme proféministe » se cachent souvent ceux qu’il définit comme « faux amis, poseurs ou alliés ».
Dupuis-Déri se garde de ces hommes qui jouent les intéressés à la cause, en autant que cela leur profite. Ils peuvent en connaître la théorie, mais demeurent incapables de l’appliquer dans leur vie quotidienne, car ils préfèrent se placer au-dessus de la mêlée. Les mauvais alliés ne sortent pas blancs comme neige de son analyse critique. « Des féministes se méfient des hommes qui font mine de s’intéresser au féminisme […]. Elles sont suspicieuses à l’égard de tout allié qui se met à s’intéresser de façon soutenue au féminisme, jusqu’à singer leurs luttes et même y imposer leur pouvoir. »
L’auteur prône plutôt une relation de complicité, car, affirme-t-il : « le complice […] écoute l’autre et s’enquiert de ce qu’elle veut faire elle-même, pour sa cause, puis l’aide à commettre un acte transgressif ou agira seul, en prenant des risques ».
L’écrivain fait ainsi un tour d’horizon des différents niveaux d’engagement des hommes proféministes, ici et ailleurs, surtout en France et aux États-Unis. Il ajoute un « Petit guide de disempowerment », un chapitre étonnamment dogmatique, en rupture avec le ton par ailleurs franc et ouvert de l’essai.
Le débat féministe n’est pas récent, puisque déjà Caton l’Ancien (234-149 av. J.-C.) craignait que les Romaines, trop puissantes selon lui, se mettent à participer à la vie politique et à dominer les hommes. On rame, on rame, on recule de deux pieds, dit Paul Piché.