Août 1914… L’Europe s’embrase et des millions d’hommes sont mobilisés dans les deux camps ennemis. Ils partent en guerre en chantant, « la fleur au fusil », bien décidés à en découdre avec l’ennemi, dans un conflit qui devait être « la der des ders ». Jusqu’à ce que sifflent les premières balles, jusqu’à ce qu’éclatent les premiers obus, jusqu’à ce que crèvent
comme des rats les premiers copains… Parmi les combattants de la première heure il y a les auteurs présentés dans le recueil des éditions Omnibus, Les grands romans de la Guerre de 14-18, qui regroupe sept œuvres françaises et allemandes qui racontent l’immense chaos, la terrible boucherie que fut ce conflit qui dura quatre ans et dont les champs de bataille s’étiraient de la Lorraine aux Flandres. Des écrivains partirent au front et il en résulta une avalanche de récits, souvent cités, quasi légendaires, mais méconnus des nouvelles générations.
Henri Barbusse a 41 ans quand il est expédié au front en décembre 1914. Inspiré par Zola, ilrédige des carnets de combat dans lesquels il se promet de n’écrire que la vérité : celle des tranchées, de la boue, de la faim, de la mort, de l’horreur au quotidien. Ces carnets serviront de base au plus puissant des romans écrits sur la guerre de sape, Le Feu, Journal d’une escouade, commencé à l’Hôpital de Chartes, en 1916, où il a été évacué pour cause de dysenterie. Le roman est publié en feuilleton dans L’Œuvre, à partir du 3 août 1916, puis paraîtra chez Flammarion (Prix Goncourt, 1916). Comme le note François Rivière : « Ce que veut dire Barbusse, c’est que la guerre est un suicide, non seulement des hommes mais aussi des nations, et son appel est un défi lancé à la barbarie opportunément déclenchée par ceux, capitalistes et stratèges, qui méprisent l’humanité ».
Roland Dorgelès est un engagé volontaire de 28 ans qui part au front de l’Artois en août 1914, puis à celui de la Somme, avant de passer dans l’aviation. Il est l’auteur de ce qui est sans doute le roman le plus connu de toute cette période, Les Croix de bois, publié en 1919, révisé en 1964. À travers ses personnages, et avec la même précision naturaliste que Henri Barbusse, Roland Dorgelès rend palpable le climat horrible de cette guerre qui s’éternise, où, entre deux assauts, entre deux carnages, les Poilus toujours vivants apprécient chaque petit bienfait de la vie, aussi modeste soit-il : le chant des oiseaux, la moindre nourriture, le courrier, les accalmies dans les bombardements, autant de sursis dont chaque minute est savourée avant la prochaine descente dans l’enfer des combats.
Au cours de la Première Guerre mondiale, on a expérimenté et adopté de nouvelles méthodes de combat ainsi que des armes toujours plus meurtrières. La guerre aérienne est une des innovations qui vont à tout jamais changer le cours des conflits. En 1916, Joseph Kessel, qui a 18 ans, est un lieutenant-observateur qui fait de délicates missions de repérage par-delà les plaines de la Champagne. Le souvenir de ces missions lui inspirera son premier livre, L’équipage, qui paraît en 1923. La guerre dans les airs se double d’une rivalité sentimentale entre un pilote et son aspirant-observateur qui est aussi l’amant de sa femme ! Pendant que les Poilus maudissent les « Boches », les soldats allemands, de leur côté, n’apprécient pas davantage la situation. Finis les rêves de gloire et de revanche : la Mort, omniprésente, a calmé les ardeurs guerrières terrifiant les soldats. Le recueil présenté par François Rivière apporte donc aussi la vision de l’adversaire, de l’Allemand honni, exécré, « le Hun », qui se révèle fragile, humain et tellement semblable à celui qui lui fait face, français, anglais ou américain. À l’instar des Français Henri Barbusse et Roland Dorgelès, l’Allemand Ernst Junger écrit un journal de guerre dont il tirera Orages d’acier (1920). Ernst Junger adopte le point de vue du philosophe : lancé au cœur de l’action, il veut comprendre le pourquoi de tout ce déchaînement. Son livre est un témoignage poignant. Ses personnages se jettent dans le feu de l’action, encore et encore, avec une obstination terrible et qui fait frémir.
Le juif allemand Arnold Zweig a 26 ans, quand il s’engage dans la guerre avec « sur la conscience, le poids déjà fatal de son appartenance à la classe intellectuelle rejetée par son pays ». Education héroïque devant Verdun est le troisième volet d’une tétralogie intitulée La Grande Guerre des hommes blancs, commencée en 1927 et achevée en 1935. Son héros, Werner Bertin, est un écrivain juif, un artiste aux prises avec une trahison dont il est le témoin et qu’il s’acharne à dénoncer. C’est une œuvre forte, dotée d’une solide intrigue et d’une analyse psychologique rigoureuse.
Le recueil s’achève sur un autre regard, avec le récit de Jérôme et de Jean Tharaud, La randonnée de Samba Diouf, publié en 1922. Les frères Tharaud avaient respectivement 40 et 37 ans quand ils furent mobilisés au 94e Territorial d’Angoulême. Dans ce roman, ils se font les historiographes de ces compagnies lointaines et exotiques venues des colonies, tel le 113e Bataillon Noir formé des fameux tirailleurs sénégalais. Comme le dit un chef de tribu s’adressant à son peuple : « […] pour obtenir une victoire rapide, la France fait appel à tous ses fils, à quelque race qu’ils appartiennent. C’est une mère qui compte sur tous ses enfants ! ». Ils seront nombreux à mourir pour la mère patrie, loin de leur Afrique natale !
Excellent recueil donc, qui montre avec panache comment les écrivains savent opposer les armes de la création romanesque à celles de destruction et de mort en évoquant l’immense fraternité issue du feu des combats. Il y aura probablement un second volume (on l’espère…) car certains classiques sont absents ici, notamment À l’Ouest, rien de nouveau, de Remarque, ainsi que de fort nombreux romans anglais et américains, (entre autres, L’adieu aux armes, de Hemingway). À signaler : la belle couverture originale signée Tardi, un vétéran qui a publié chez Casterman, en 1993, un superbe album de 128 pages, intitulé C’était la guerre des tranchées, une œuvre capitale.
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