Guildo Rousseau (1938-2021) s’est longtemps intéressé à la figure de l’Iroquoise dans la littérature nord-américaine. Il nous offre aujourd’hui, en publication posthume, une riche édition critique du premier roman féminin de langue française publié au Québec : Les Fiancés d’outre-tombe, de Clara Chagnon (1845-1896).
Douze ans avant Angéline de Montbrun (1881-1882), de Laure Conan – pseudonyme de Félicité Angers (1845-1924) –, l’auteure empruntait, via notamment les Relations des Jésuites, une trame romanesque aux couleurs romantiques et à saveur missionnaire bien en accord avec les valeurs clérico-nationales de son époque. Le récit historique de Clara Chagnon, publié en trois livraisons dans La Revue canadienne de Montréal, en 1869, paraît ici pour la première fois en livre. Guildo Rousseau entoure son édition d’un appareil critique fort documenté, présenté au total en autant de pages que le roman lui-même, qui en fait environ 55. Dans son introduction, il retrace les étapes de la formation ayant conduit la femme à l’écriture, retrouve les sources auxquelles elle avait accès au XIXe siècle, décrit la fortune littéraire de son roman, expose le contexte géopolitique de la Nouvelle-France au XVIIe siècle… Dans sa postface, il étudie l’œuvre en s’appuyant sur diverses théories littéraires, comme celles de Paul Ricoeur et de Claude Lévi-Strauss. La figure de Chateaubriand (1768-1848) est là, bien sûr, qui donne à lire dans Atala (1801) et René (1802) le récit mythique dont s’est servie Clara Chagnon. Le tout est accompagné de tableaux, de cartes et d’illustrations, dont la reproduction d’une toile de Joseph Légaré, Le Désespoir d’une Indienne(entre 1844 et 1848), en couleurs.
Le roman raconte l’histoire amoureuse de la jeune et « séduisante » Iroquoise Fleur-des-Champs avec René Goupil, le « donné » du père Isaac Jogues, dans un contexte d’évangélisation jésuite et de relations, amicales ou conflictuelles, entre les différentes tribus autochtones. Dans sa mise en scène, le narrateur évoque les traditions et les coutumes guerrières, sociales et familiales des Amérindiens. Les épisodes, qui se déroulent sur deux mois, en 1642, conduisent à l’assassinat de René Goupil par le « méchant » et jaloux Kiohacton, « qui continuait à poursuivre Fleur-des-Champs de son odieux amour ». Incapable de survivre à la mort de son fiancé, la jeune fille le rejoint dans la tombe.
L’empreinte romantique, déjà perceptible dans le titre du roman (cf. les Mémoires d’outre-tombe [1845] de Chateaubriand) est abondamment présente. On y voit une nature où se déploient les « géants solitaires » des « sombres forêts » et les « pâles rayons » de la « lune radieuse ». Le texte évoque aussi les « ombres de la mort » et les « voix » entendues par le chef Ononkouaia se mêlant « aux gémissements de la tempête, aux murmures des eaux, aux soupirs du vent, aux chants de l’oiseau des nuits solitaires ». S’y exprime encore la « tristesse habituelle » des Amérindiennes, avec leur « front pensif » et leur « mélancolie », « profonde » chez l’une, « noire » chez une autre, « plaint[ive] » ailleurs.
Le roman de Clara Chagnon est « magnifiquement écrit », comme le dit d’entrée de jeu le préfacier Denys Delâge. On remarquera tout particulièrement l’aisance d’une phrase qui se développe élégamment, sans heurt, dans un souple balancement rythmique. Une vaste et inclusive bibliographie vient clore cette édition critique, dont l’excellence et la minutie sont à l’image de celles des publications de la collection « Bibliothèque du Nouveau Monde », de l’Université de Montréal, et de la série « Anciens », aux Éditions 8, de Québec, en ce qui concerne les romans québécois du XIXe siècle republiés.