Jean-Simon DesRochers revient à ses anciennes amours avec Les espaces. Au début des années 2000, il avait signé deux recueils de poésie, dont Parle seul, qui lui avait valu le prix Émile-Nelligan. Ensuite, mis à part un essai sur la création littéraire, il n’avait publié que des romans : La canicule des pauvres (2009), Le sablier des solitudes (2011) et Demain sera sans rêves (2013).
Ces fictions, surtout les deux premières, l’ont fait connaître du grand public. Il s’y révélait un habile conteur, proche de la tradition américaine, doué pour les structures complexes, l’effet « choral ». Pourquoi ce retour en poésie ? Qu’offre la poésie qui est impossible avec le roman ?
Beaucoup. Plus particulièrement, peut-être, l’occasion de remettre en question le langage même qui construit nos histoires collectives et individuelles. « Retourne contre toi le mot garçon / il n’a pas bougé depuis longtemps / il t’attend / les traits tirés / sur une chaise de pauvre », écrit DesRochers dans la première partie du livre, intitulée « Motifs », que suivront « Chaises », « Familles », « Écoles », « Cités », « Écrans », « Piste » et « Lit ». Autant d’espaces qui façonnent nos identités d’hommes, de femmes, d’enfants. Le poète interroge le rapport du sujet à l’espace, démantelant, c’est le cas de le dire, ce qui aurait pu créer un semblant d’unité. Un nouveau mode d’être, mais surtout de parler, émerge. Près de la poésie de Roger Des Roches et d’autres poètes d’avant-garde, Les espaces invente sa propre syntaxe, dénature les mots, leur ajoute de nouvelles fonctions. Comme le souligne l’auteur en quatrième de couverture : « J’ai parfois écrit au couteau, aux ciseaux, avec les dents ».
C’est une poésie surtout cérébrale, toujours en mode interrogatif, même quand elle parle de sexe : « [C]es vulves langues pénis font autant l’histoire que les nymphes amères surfaces lisses non lisses qui ne retiennent pas le rêve d’étendre l’ouverture comme l’irruption d’un sexe contre un autre sexe ne décrit pas autant qu’il glisse d’un sens à l’autre mais qu’est-ce qu’un corps si le corps sort du cadre que devient la pensée quand l’esprit jouit sans aide ». Il s’agira néanmoins d’un des passages les plus près du corps, de sa matérialité. L’ensemble, forcément désincarné à cause du propos, a la beauté froide des textes formalistes à la Nicole Brossard. Aussi s’adresse-t-il surtout à l’intellect.
LES ESPACES
- Les Herbes rouges,
- 2016,
- Montréal
101 pages
15,95 $
Loading...
Loading...

ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...