Le nouveau roman d’Yves Beauchemin raconte les aventures et mésaventures de Jérôme Lupien qui, fraîchement reçu bachelier en lettres, à Montréal, décide de se récompenser en s’accordant une année de bon temps. Mais il est très tôt victime de deux arnaques qui lui feront petit à petit délaisser le chemin de la vertu pour les eaux troubles de la magouille politique et financière : un guide de chasse peu scrupuleux lui subtilise d’abord le magnifique panache de l’orignal qu’il vient d’abattre à Maniwaki, puis un escroc ne lui livre pas l’auto promise, pour laquelle il a versé un acompte de mille dollars. Au cours d’un séjour de deux semaines à Varadero, à Cuba, Jérôme fait la connaissance d’Eugénie Métivier d’abord, une brave diététiste divorcée dont il devient amoureux et qu’il revoit plus tard à Montréal, et ensuite de deux autres personnages qui joueront un rôle important dans sa vie : Félix Sicotte, un fils à papa consommateur de haschich, et sa mère, Francine Desjarlais, une riche parvenue de Mont-Royal qui procure à Jérôme les services d’une « poule de luxe » pour le remercier d’avoir délivré son fils des mains d’un truand armé. Cette Francine le fait connaître à son mari, Séverin Sicotte, avocat manipulateur, lobbyiste non inscrit et « virtuose de la duplicité », qui l’engage dans une série d’actions crapuleuses où traficotent politiciens, hommes d’affaires, entrepreneurs, conseillers municipaux, investisseurs, sénateurs…
Parmi ceux-là se démarque Normande Juneau, ministre provinciale libérale, ambitieuse, rusée et redoutable : cette dévoreuse d’hommes attire plusieurs fois Jérôme dans son lit. Le jeune bachelier n’écoute ni Eugénie ni son vieil ami de collège Charlie Plamondon, qui le mettent tous deux en garde contre le « merdier » dans lequel il s’enfonce. Un troisième coup fourré – le mensonge de Francine Desjarlais concernant la fausse mort du truand de Varadero – amène Jérôme à une vengeance qui, en bout de course, fait « sauter la baraque à Sicotte » et provoque la chute du gouvernement du premier ministre Jean-Philippe Labrèche.
Le résumé qui précède ne fait pas état des mille et une péripéties qui accompagnent l’action principale. Ces épisodes secondaires alimentent certes la curiosité et l’intérêt du lecteur malgré parfois leur gratuité. Plus de 90 personnages, nommés (environ 80) ou anonymes (une dizaine), interviennent dans ce récit qui s’échelonne sur un espace temporel de 14 mois, « au début des années 2000 ». Dès leur apparition, la plupart ont droit à une description physique ou morale ou les deux, selon un schéma itératif. Dans une note liminaire, Yves Beauchemin affirme que « les personnages et événements décrits dans ce roman sont fictifs », ajoutant : « […] bien qu’ils soient parfois inspirés de la réalité ». Pensons ici à Normande Juneau, derrière laquelle le lecteur est fortement tenté de voir la figure d’une ex-ministre du gouvernement Charest récemment arrêtée par l’UPAC dans une affaire de financement illégal de partis politiques et dont le patronyme est nettement visible sous le nom fictif. Le texte comporte d’ailleurs en excipit une allusion directe à cette « Unité permanente anti-corruption », comme il évoque auparavant la confection de listes de prête-noms, la démarche d’un collecteur de fonds pour différentes factions politiques, ou encore les « amis » de Juneau qui l’invitent pour une croisière aux Bahamas sur le « superbe » yacht d’un « richissime entrepreneur de construction »…
La multiplication de tous ces détails entraîne parfois quelques longueurs. Dans l’ensemble, toutefois, Les empocheurs est un excellent roman, où s’exerce avec brio la langue d’un auteur dont la précision du discours en général et du vocabulaire en particulier constitue l’un des premiers attraits.
LES EMPOCHEURS
- Québec Amérique,
- 2016,
- Montréal
411 pages
29,95 $
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