La prose de Catherine Mavrikakis excelle à camper la frustration, le fiel, la violence d’un contexte social oppressant. Les compromissions du quotidien, les discours haineux, les traumas de sociétés nord-américaines vouées à la consommation, à l’oubli et à la cruauté indifférente sont fondus par une écriture emportée, où la réitération, le déplacement de sens et l’insistance forment un modèle pulsionnel de l’urgence rare dans la littérature québécoise. Dans Les derniers jours de Smokey Nelson, ce talent de la composition et du rythme se manifeste encore avec brio, dans une structure à trois trames emmêlées.
En 1989, Pearl Watanabe découvre quatre cadavres dans un motel en banlieue d’Atlanta. Trois parcours seront altérés par le coupable, Nelson. Catherine Mavrikakis, avec sa capacité d’écoute des voix étatsuniennes, bouscule les discours usuels sur la peine de mort en suivant les tribulations de Sydney Blanchard, de Pearl et de Ray Ryan, happés par le drame et par l’annonce de l’exécution de Nelson. À travers l’alternance des voix, reprises chacune à trois reprises à des moments distincts de leurs déplacements (réels ou symboliques) vers le drame, Mavrikakis dresse un récit de l’extrémisme actuel, où vengeance, rédemption, recommencement sont des termes utilisés à toutes les sauces.
Sydney a été injustement accusé de ce meurtre. Au volant de sa Lincoln blanche de Seattle à la Louisiane, il pérore à sa chienne Betsy sur son enfance de Voodoo Child hendrixien, en tentant de renaître sur sa terre natale. Sa voix est celle de la nostalgie et du recommencement. Une autre voix provient de Pearl, celle de la fugacité perdue, ayant passé à côté d’un miracle. Elle a été le témoin oculaire qui a changé la vie de deux êtres : Sydney l’innocenté par sa déposition, Nelson le condamné. Pourtant, Pearl, durant un séjour qui la ramène sur les traces de sa halte géorgienne, elle qui travaille à Honolulu depuis la terrifiante découverte de 1989, se remémore le trouble ressenti auprès du grand Noir attirant qu’elle a identifié. La dernière trame reprend, dans des passages jouissifs et troublants, la voix de Dieu pour décrire le parcours de Ray, le père d’une des victimes, qui construit sa vie autour de la vengeance, sous l’œil d’un Dieu voué à rétablir la loi du talion. Dans ce discours eschatologique, où l’usage du futur et de la colère divine allie un fatum tragique et le discours extrémiste de la droite conservatrice étatsunienne, Mavrikakis saisit les fondements imaginaires de la violence, telle qu’elle se lit dans la peine de mort, le recours symbolique à la vengeance et l’impossible délibération sociale ruinée par la consommation et Dieu. La dernière voix du récit ne fera que marquer, avec à-propos, l’ampleur de cet étouffement.