Premier livre de poèmes de la romancière, essayiste et cofondatrice de La Peuplade, Les décalages contraires invite au voyage et à « prendre le pouls de l’amour ». C’est un enthousiasme curieux qui m’habite au moment d’ouvrir le livre de celle qui nous a offert L’imparfaite amitié, finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général en 2017. « La poésie est à l’existence ce que l’intensité est au voyage » (p. 7). Ces mots résonnent en moi comme une promesse d’amplitude, de grandeur.Dans « Tour du monde », le prologue du recueil, l’autrice poursuit : « Pour moi, voyager, c’est sentir. Écrire, c’est se taire. La poésie est un art composé de silences, où l’on dit beaucoup avec du blanc » (p. 8). Sans doute cela explique-t-il le choix de Mylène Bouchard de faire des poèmes très brefs, quelques-uns tenant en une seule ligne. Si un tel choix peut parfois se révéler très efficace, je suis d’avis que le seul vers d’une page doit me scier les jambes, me couper le souffle. Dans Les décalages contraires, on se retrouve plutôt face à une amorce, à quelque chose qui aurait gagné à être prolongé : « Et si on arrêtait la course au lever du jour ? » (p. 60), « Freedom » (p. 64) ou encore « Tu n’as pas le temps d’être libre » (p. 82).Au fil des pages, je sens la narratrice en posture de questionnements et de recherches : de liberté, d’amour, d’intensité. Elle évolue dans un espace de prises de risques. La voix est prête à se tromper, à prendre des virages raides, à s’abandonner aux forces de la vie et à celles de la nature. Le symbole de la montagne revient à de nombreuses reprises, image de majesté, de force et d’équilibre. Parmi les poèmes les plus beaux, les plus inspirants du livre, celui-ci :
Nous sommes jeunes et coususAvec l’étoffe de l’avenirPourchassons-nousDans toutes les villes du temps(p. 65)
Cependant, à travers les textes tout en retenue, la poète a peut-être trop fait confiance au pouvoir des blancs et des silences, et les lecteurs risquent de se sentir en flottement, moins engagés dans l’aventure proposée. Alors qu’en début de livre Mylène Bouchard parle des Décalages contraires comme s’ils étaient des incantations libératrices, j’ai souvent la sensation que tout n’est qu’effleuré dans le recueil, que la grande plongée n’a pas lieu : « J’avais le temps/J’étais l’ailleurs/J’avais l’amour/J’étais ailleurs » (p. 45). Plusieurs poèmes, par leur découpage que je sens un peu aléatoire (« La poésie, c’est faire enter à tout bout d’champ », écrivait Vickie Gendreau), rendent la lecture moins claire, moins fluide aussi.L’autrice affirme dans son prologue qu’elle a aimé se taire dans la poésie. Les lecteurs regretteront peut-être qu’elle n’ait pas été un peu plus bavarde. On peut certainement espérer de Mylène Bouchard, éditrice au flair incontestable, romancière et essayiste de talent, que ses prochains projets poétiques sauront davantage montrer cette tension, ce grondement sourd, sous-jacents au poème et à la vie.