Comment le curé Roland Charvez et la belle Mathilde de Salignac pouvaient-ils espérer garder leurs amours secrètes ? Dans un village de la France profonde, au mitan du XIXe siècle, alors que faisaient défaut les distractions de la radio, de la télévision et du cinéma, comment pouvaient-ils penser que nul ne remarquerait leur frémissant manège ? L’impunité était d’autant moins probable que l’époux de la belle Mathilde était le médecin du lieu et, de surcroît, jaloux et soupçonneux et que, pour faire pleine mesure, le village venait tout juste de chasser par évêque interposé un autre curé trop éveillé aux plaisirs du sexe. Certes, Roland et Mathilde avaient faim et soif l’un de l’autre, mais leur présomption étonne.
Ce qui surprend presque autant, c’est l’absence totale de travaux d’approche. Il aura suffi, pour que s’allume la flamme, du regard forcément fugitif qu’un célébrant et une paroissienne peuvent échanger de loin en présence de la foule assistant à la messe. De ce minuscule contact, le récit saute, sans plus de préliminaires, à l’étreinte sauvage dans la clarté du plein air. Le peace & love californien dans la ruralité de 1849… Pareil hiatus détonne chez une auteure qui s’était montrée bellement respectueuse des rythmes villageois dans ses deux volumes consacrés aux inondations meurtrières du lac Saint-Jean (cf. Le scandale des eaux folles, JCL, 2014 et 2015).
Précipité et haletant dans ses premières phases, le récit parvient brutalement au prévisible : quelqu’un a surpris le secret des amants et menace ceux-ci de chantage. Bien avant Roland et Mathilde, le lecteur a entrevu la suite : il leur faudra tuer. Alors s’ouvre la meilleure tranche du roman ; Marie-Bernadette Dupuy retrouve ses moyens. L’enquête policière s’attaque aux dénégations des amants, avec un succès longtemps limité. Des personnages jusque-là périphériques aident au raffinement de la preuve. Il demeure difficile de savoir, cependant, pourquoi le curé Charvez écope d’accusations plus lourdes que sa partenaire et pourquoi le tribunal entérine cette disparité.
De façon peut-être paradoxale, ce roman suscite une question : l’auteure, qui a l’habitude d’investir dans ses intrigues une recherche approfondie et de marier habilement le plausible et la fiction, a-t-elle commis une imprudence en acceptant comme un cadeau empoisonné une histoire rendue immuable par les documents d’époque ? L’auteure en a-t-elle perdu sa marge de manœuvre ? Quand la réalité dépasse la fiction, une romancière court un grand risque en acceptant le joug des faits.
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