Le dernier roman de Jean-Paul Dubois s’ouvre sur la mort de Charles Stern, le frère friqué d’Alexandre, l’oncle prétentieux de Paul. Les deux frères se détestant à qui mieux mieux, le survivant s’impatiente devant le cercueil bloqué au seuil du four crématoire, le tapis roulant refusant simplement d’avancer : « Décidément, ton oncle nous aura fait chier jusqu’au bout ». Pourtant, quelques jours plus tard, le père de Paul amorce sa transfiguration : héritier du frère célibataire et sans enfants, le voilà qui abandonne ses valeurs passées et, sous le regard ahuri de son fils, devient l’être insoupçonné qu’il a sans doute toujours été.
Alors qu’il est empêtré d’une femme sous calmants et d’un vieux père déroutant qui a trouvé son second souffle, Paul Stern saisit l’occasion de fuir à Hollywood la vie toulousaine qui lui pèse de plus en plus : la Paramount vient de lui offrir de faire un remake d’un quelconque vieux film français, Désarticulé.
Nous voici en terrain connu le énième « Paul » de Dubois est dans la pure lignée des précédents : partagé entre des sentiments contradictoires, hésitant, impudent, vaguement nostalgique et courageusement lucide. Les accommodements raisonnables de Paul Stern sont empreints d’amertume, de fatalisme et, comme dans tous les autres romans de Dubois, d’une exquise sensibilité. Partagé entre son exaspération contre un père qui se métamorphose en parvenu et la nostalgie de la femme jeune et pétillante qui fut la sienne, Paul amorce en Amérique un périple qui le mènera droit au cœur de ses angoisses existentielles. À son retour à Toulouse, riche d’une nouvelle expérience, il réintégrera la réalité qu’il a un moment gommée, histoire de reprendre, à l’instar de l’« apostat flamboyant » qui lui tient désormais lieu de père, un second souffle : « Les accommodements raisonnables que nous avions tacitement conclus nous mettaient pour un temps à l’abri d’un nouveau séisme, mais le mal était toujours là, tapi en chacun de nous, derrière chaque porte, prêt à resurgir ».