Plus encore que le poème Louise de Sinigolle, mis au jour et présenté en 2001 par Réjean Robidoux, aux mêmes éditions David, le drame lyrique Les Acadiennes est une œuvre inachevée à laquelle Félix-Antoine Savard a travaillé durant plus d’un demi-siècle. Inspiré de la Déportation des Acadiens, le texte projeté devait illustrer le retour à Grand-Pré de gens exilés à Boston en 1755. Le dossier préparé par Yvan G. Lepage réunit une « forêt de fragments », manuscrits pour la plupart, souvent non datés, et couchés au recto ou au verso de supports de toutes natures, sous des encres variées: calepins, cahiers d’écolier, fiches, carnets reliés, feuillets quadrillés, réglés ou marbrés, cartons d’invitation, bouts d’enveloppes, cartes de Noël, papier à en-têtes multiples, le tout volontiers accompagné de dessins.
Ces manuscrits portent les innombrables ratures, reprises, hésitations et repentirs qui témoignent à l’envi de l’incessant et obsédant labeur d’un écrivain exigeant en perpétuel état de création, consignant sans relâche notes, plans d’ensemble, esquisses de scènes ou de personnages, canevas d’épisodes, amorces de vers… Félix-Antoine Savard fut véritablement hanté par ce projet qui ne sera finalement jamais mené à terme et dont ne subsistent que deux avant-textes fort incomplets : une « prose biblique rythmée » crayonnée en 1950, et sa reprise en 1977. Quoique très partielles, ces ébauches portent la marque d’un homme de lettres connu pour son irrépressible tendance lyrique, sa constante inspiration religieuse et sa nette attirance pour le théâtre antique, celui d’Eschyle en particulier, avec ses chœurs. À plusieurs reprises, les fragments mentionnent également les sources contemporaines mises à profit: Pamphile Le May, Henri-Raymond Casgrain, Émile Lauvrière et tout particulièrement un article de 1908 du sénateur Pascal Poirier.
Le dossier des Acadiennes comprend aussi trois pertinentes annexes : des passages inédits du journal de l’auteur ont permis à l’éditeur de tracer d’abord un tableau récapitulatif de l’évolution de sa pensée et de son projet, puis d’établir la genèse de l’œuvre. Suit une chronologie détaillée de Félix-Antoine Savard rappelant les grandes étapes de son parcours de prêtre, de professeur et d’écrivain.
Si la lecture de ces nombreux fragments demeure souvent difficile, insatisfaisante, déroutante même à cause d’incohérences, on saura gré à Yvan G. Lepage d’avoir constitué un dossier retraçant la lente maturation d’une réflexion et d’une écriture en marche, celle-là même qu’il avait pu apprécier en 2004 lorsqu’il a révélé, dans son édition critique de Menaud maître-draveur, les douze « états » de ce magistral roman-poème. Félix-Antoine Savard est un écrivain patient, au double sens étymologique et courant du terme, et la présente publication fait découvrir à la fois les besoins de rigueur et de perfection d’un auteur exceptionnel et la persévérance et la minutie d’un exégète chevronné.