Qu’on se le dise, ce n’est pas Léo Strauss qui a développé le concept de guerre préventive. À Rumsfeld et Wolfowitz d’assumer leurs responsabilités. Infiniment plus qu’à l’antagonisme entre les États-Unis et les pays à potentiel pétrolier ou nucléaire, c’est à l’incompatibilité philosophique et religieuse entre Jérusalem et Athènes que s’intéresse la conscience honnête et inquiète de Léo Strauss. Si Athènes a raison, l’homme trouve en lui-même de quoi définir et réaliser son idéal ; si, au contraire, Jérusalem l’emporte, la révélation descendant du ciel et formulant la Loi constitue la seule voie fiable que puisse emprunter l’humanité. Circonspect, pénétrant, sans la moindre vindicte, Léo Strauss mène une fascinante enquête auprès de Spinoza, de Maïmonide, de Hobbes, d’Heidegger et consorts, demandant à chacun où chercher le bonheur et la dignité de l’homme.
Daniel Tanguay décrit prudemment et intelligemment le cheminement d’un homme prudent et intelligent. Si Léo Strauss enveloppe sa pensée, Daniel Tanguay en fouille les secrets, mais il consent, si « l’art ésotérique d’écrire » crypte trop efficacement le fin mot de l’histoire, à baisser les bras : ou Strauss a préféré ne pas durcir son verdict ou l’analyste ne parvient pas à décoder la conclusion. On lira avec un intérêt particulier les textes où le monde arabe manifeste, bien avant que l’Europe en arrive à ce stade, sa fervente familiarité avec Platon. En notant que, depuis le même Platon, il est parfois conseillé de « ne pas troubler l’honnête homme », Strauss sert peut-être de caution aux gouvernants qui estiment moral de mentir à ce même personnage. Ce n’est pas son propos.
Malgré la complexité des notions et le caractère ondoyant des raisonnements de Strauss, Daniel Tanguay conserve à sa rédaction une clarté constante et une élégance qui n’est pas sans mérite. Travail admirable et plus accessible qu’on ne le croit d’abord.