Au Canada anglais, on le surnommait affectueusement « Monsieur Canada » pendant la campagne référendaire de 1995, lorsqu’il s’opposait à la souveraineté du Québec. Et en 2022, on assiste au retour à la politique fédérale de ce « grand blond », toujours aussi charismatique chez les Canadiens.
Bien avant d’avoir écrit Sénateur, moi ? (La Presse, 2020), André Pratte avait brossé ce portrait laudatif de celui qui, en 1998, se lançait sur la scène politique provinciale à la demande (presque) générale, après avoir été ministre puis chef du Parti progressiste-conservateur au niveau fédéral. À cette époque, Jean Charest envisageait ce défi avec beaucoup d’assurance : « Pour autant que j’aie les dossiers et que les gens qui s’occupent de ça me briefent ». Le rôle du politicien est devenu un travail de communicateur, de porteur de projets, de persuadeur.
Ce portrait politique, familial et anecdotique couvre l’enfance, les années de formation et la vie publique de Jean Charest – et de son épouse Michèle Dionne – jusqu’en 1998. Pour la présente réédition, André Pratte n’a pas mis à jour ou prolongé au XXIe siècle sa première mouture, parue il y a plus de vingt ans, mais il ajoute un nouvel avant-propos d’une quatorzaine de pages, qui s’apparente parfois à un credo, à propos d’un « être chaleureux mais méfiant et parfois distant ». Ces trois traits de caractère apparemment contradictoires constitueraient le nœud de « l’énigme » suggérée dans le titre. Le biographe n’est pas pour autant un inconditionnel ; dans le chapitre du retour sur des souvenirs d’adolescence, il affirme : « Comme il le fait souvent quand il parle de son passé, Charest exagère l’importance du rôle qu’il a joué ».
André Pratte écrit d’une manière vivante, accrocheuse, persuasive, et son essai illustre par la bande comment fonctionne la machine politique libérale : ses influenceurs, les hiérarchies, ses véritables décideurs, ses zones d’ombre, mais aussi les personnages « incontournables » qui doivent approuver tout ce qui va de l’avant. Autrement dit, on saisit bien cette idée du « vrai pouvoir » dans les rouages politiques canadiens, qu’André Pratte connaît de l’intérieur. C’est le point fort de l’ouvrage. Cependant, sur le plan éditorial, on remarque un petit problème de numérotation après les premières pages en chiffres romains ; il aura échappé aux éditeurs. Ce n’est pas le seul livre consacré à l’ex-premier ministre du Québec ; un collectif de journalistes montréalais a fait paraître un brûlot, intitulé PLQ inc. Comment la police s’est butée au parti de Jean Charest (Du Journal, 2019), ouvrage peu diffusé qu’aucun média n’avait recensé.