Après le succès populaire et critique de Nikolski, les éditions de L’instant même ont eu la bonne idée de rééditer le premier recueil de nouvelles de Nicolas Dickner, L’encyclopédie du petit cercle, prix Adrienne-Choquette 2000. Si son premier roman brillait par sa composition tripartite originale et par un imaginaire maritime bien exploité, son recueil privilégie le ludisme, la soif du savoir et prend prétexte de la découverte d’une encyclopédie inusitée pour proposer au lecteur un voyage loufoque et dépaysant. « Ce borgésien ouvrage », gorgé d’expressions insolites, permet au narrateur de se constituer un imaginaire, qu’il partage avec Karine. À partir de définitions sibyllines conférées à des notions elles-mêmes obscures, le narrateur construit des récits qui viennent les expliciter et les réinterpréter. Chaque nouvelle est donc une démonstration de concepts aussi merveilleux que « Bombardement limbique » et « Attrape-méduse ».
L’encyclopédie, agrémentée par la vive intelligence d’un narrateur fripon, remplit dès lors son rôle : elle ouvre sur le monde, propose une cartographie d’ailleurs fabuleux, composée d’Alexandrie distante, de Nord incertain et de Madagascar rêvé. Les personnages, portés par un désir d’évasion, par une verve fabulatrice, se créent des univers où le savoir est lié au partage. L’encyclopédie, qui doit, par sa nature, expliciter le réel, en démontrer les rouages, s’avère ici un immense vortex qui accapare le monde et le transfigure, lui accordant une valeur ludique où les contingences identitaires perdent leur emprise. Il en résulte un recueil drôle et libérateur, qui fait humer, mine de rien, un vaste savoir et échafauder des mondes parallèles. À travers la lecture, le monde parvient à se réorganiser, de sorte que des épopées émergent autour d’une tasse de thé et des contes philosophiques tiennent dans le regard de jeunes filles alertes. Pour réussir un tel dessein, il suffit d’assigner au savoir sa véritable fonction : non pas écraser la culture de significations figées, mais permettre d’accumuler un réservoir de rêves et de mondes à explorer. Ce que Dickner fait avec brio. C’est ainsi que, sans cesser de nous amuser, ce petit bouquin annonçait le grand écrivain révélé par Nikolski.