Fruit de 30 ans de collaboration avec le magazine Nuit blanche, cet ouvrage ne propose ni rétrospective ni panorama du monde des livres. L’auteur préfère y voir une flânerie parmi les littératures du XXe siècle, espérant rendre son plaisir de lire communicatif.
C’est la deuxième fois que le mot lecture apparaît dans le titre d’un ouvrage de Roland Bourneuf. Il figurait déjà dans sa toute première publication, en 1969, aux Presses de l’Université Laval : Saint-Denys Garneau et ses lectures européennes. Le détail n’a rien d’anodin puisque l’écrivain et ancien professeur est avant tout un lecteur. Un grand lecteur, cela s’entend, façon Montaigne, au point de s’intéresser, chez chaque auteur qu’il lit, aux lectures effectuées par ce dernier. La littérature devient ainsi une vaste contrée où chaque chemin s’ouvre sur de nouveaux sentiers.
Lectures à tous vents réunit 46 chroniques portant exclusivement sur des œuvres du XXe siècle, la plupart antérieures aux années 1970 ou 1980. La majorité des auteurs choisis sont des hommes, mais on trouve aussi quelques écrivaines, et non des moindres : Gabrielle Roy, Claire Martin, Esther Croft, Hélène Dorion. Les Européens sont privilégiés (les lecteurs de Nuit blanche savent à quel point Bourneuf apprécie Zweig, Hesse, Márai et Gracq), mais les Québécois ne sont pas boudés pour autant puisque l’ouvrage s’ouvre et se clôt sur deux d’entre d’eux : Jacques Brault dans le premier cas, Pierre Vadeboncœur dans le second. Puis, le vent emporte l’écrivain-lecteur vers l’Amérique de Fitzgerald et sa fêlure, vers l’Argentine de Borges, qualifié d’inquiéteur, comme l’avait été Gide, qui s’en enorgueillissait (« Inquiéter, tel est mon rôle », clamait-il). Grand amoureux de la littérature, Bourneuf s’intéresse aussi aux vies d’écrivains, lisant les biographies de Roland Barthes, de Lawrence Durrell et de Joseph Conrad. Parfois, le visage du lecteur dissimule celui du re-lecteur – comme face à Proust, auteur certainement auréolé d’une admiration durable, mais qui suscite à sa troisième lecture une distanciation et des fléchissements absents jusque-là. D’autres fois, lire consiste à reprendre une rencontre ratée, comme celle avec Claudio Magris, peu apprécié avant la découverte de Danube. C’est donc une délicate offrande à l’amour des livres et de la lecture que nous donne Roland Bourneuf.