Voilà un très beau livre que le dernier roman d’Yvon Paré. Dans les deux sens du terme, puisque la jaquette est particulièrement réussie, de telle façon qu’on en arrive à croire que l’histoire est sise entre deux bouts de nuage. Cette image annonce d’ailleurs le rôle central qui sera dévolu à l’imagination dans Le voyage d’Ulysse, dont les multiples influences puisent tant aux grands canons de la littérature (L’Odyssée, La divine comédie, Alice au pays des merveilles) qu’à la tradition orale des contes et légendes du Saguenay–Lac-St-Jean.
L’histoire est assez connue mais, dans ce cas-ci, plusieurs variantes interfèrent. Ulysse prend pour l’occasion les traits d’un jeune homme provenant du Bout du Monde, village situé aux abords du Grand Lac sans fin ni commencement (lac St-Jean). Poussé par sa grand-mère Allada à parcourir le vaste monde, Ulysse décide d’en faire le tour et quitte son lieu natal. Il bourlinguera durant les 28 parties qui divisent le roman, autrement structuré par la rencontre avec des personnages pittoresques et attachants, parmi lesquels Jean (Tremblay ?), zélateur et maire d’un village fantôme (Val-Jalbert), ou encore Louis Hémon et la famille de Samuel Chapdelaine. Toute l’originalité du projet tient à ce dialogue fécond que Paré instaure entre les représentants de la mythologie occidentale (Ulysse, Perséphone, Circé, etc.) et ceux issus de l’imaginaire national (Alexis le Trotteur), local (Louis l’Aveugle), voire autochtone (Tshakapesh). De nombreux clins d’œil sont offerts qui témoignent de ce constant va-et-vient, notamment lors de l’épisode du déluge, dont le symbolisme eschatologique est bien connu, mais qui est cependant récupéré par des allusions à l’histoire locale réelle (le déluge du Saguenay de 1996).
Aussi le récit est-il mené par une prose imagée et jubilatoire, où l’intertextualité, en plus d’occuper un rôle structurant, offre de surcroît un parcours ludique de lecture que vient conditionner l’intrication des nombreux emprunts. Si d’aucuns peuvent y percevoir un prétexte pour étirer plus ou moins utilement le déroulement de l’action afin de permettre l’étalement de références éparses, il n’en demeure pas moins que le roman est d’une efficacité maîtrisée et offre un véritable plaisir de lecture.