En toile de fond, les années 1960 et leur cortège d’événements politiques : guerre froide, crise des missiles à Cuba et menace nucléaire, crainte du communisme, course à la conquête de la lune, réminiscences d’un passé de guerre pas si lointain, séquelles des exactions du régime nazi Au premier plan, une jeune famille : les McCarthy qui rentrent au pays après un séjour en Allemagne et s’installent à Centralia, base ontarienne de l’armée de l’air canadienne. Enfin, le pivot du récit : Madeleine, une gamine de neuf ans dont les tribulations alimenteront l’intérêt du lecteur jusqu’à la toute fin du pavé de plus de 800 pages. Ainsi présenté, le deuxième roman d’Ann-Marie MacDonald ne semble pas sortir de l’ordinaire, mais qu’on ne s’y méprenne, il s’agit d’un livre remarquable qui, malgré les longueurs du début, a de quoi nourrir nos réflexions sur l’enfance, la loyauté, la lâcheté, la cruauté et sur un passé tout proche qui semble vouloir se répéter à l’infini.
L’écrivaine passe au crible le monde de l’enfance avec son imaginaire fertile, ses peines, ses joies, ses petites et grandes cruautés, ses inquiétudes et ses secrets. Confrontée aux vicissitudes de l’univers des adultes, Madeleine fait brutalement connaissance avec le versant indigne de l’âme humaine : sur la base, une fillette est assassinée alors que d’autres manquements en perpétuent la sordidité et donnent lieu à une révoltante erreur judiciaire. Bâillonnés par de malheureux secrets, deux protagonistes auraient pourtant pu infléchir le cours des événements. Mais la vie poursuit son cours emportant dans le sillage d’un silence monstrueux le souvenir d’innocentes victimes. « D’une certaine façon, ‘raconter’ veut dire compter. À la manière d’un caissier de banque. Le comptable lui-même participe du récit, et le conteur est une sorte de comptable. Chacun rend compte d’événements et du coût de chacun. À l’auditeur de décider – le jeu en valait-il la chandelle ? »
Habile romancière, Ann-Marie MacDonald ne verse jamais dans la facilité. Même les longueurs du début, qui campent l’époque et les personnages, sont mises au service du récit pathétique et déroutant qu’elle a mis quelques années à concocter.