Il abonde en échos, ce Temps présent de Maxime Catellier, essai qui se nourrit autant de Rimbaud que d’Arthur Buies, de Bob Dylan ou de Mallarmé. Tantôt catalogue autobiographique, tantôt manifeste ancré dans la révolte étudiante de 2012, il s’agit avant tout d’une promenade intellectuelle, dans l’anti-tradition de Montaigne et de ceux pour qui la littérature participerait de l’état sauvage de la pensée. Si les questions du temps et de l’écriture sont ici abordées, c’est à la manière de thèmes musicaux, à partir desquels on crée une improvisation accueillant les contours de la vie, trouvant sa structure à même les accidents, si bien qu’on pourrait l’assimiler à un poème d’idées.
D’un style ample, dont l’inactualité fait déjà affront, l’écriture de Catellier s’arrime entre autres à l’errance pédestre. Dans la pièce de résistance que constitue le chapitre « Les pommetiers de la place Albert-Duquesne », l’urbanisme s’entremêle à l’anecdote et aux souvenirs, aux lectures, dans un télescopage laissant soudain émerger des constats plus généraux : « Si les contes ont essaimé grâce au vagabondage en rase campagne des mal pris, les mystères de la ville continuent de se produire à cœur de jour sans que personne ne les révèle. Ils tissent discrètement leur toile dans les évidences que le travail enterre sous les apparences de la nécessité ». On reconnaît là l’affinité récurrente de l’auteur avec André Breton.
Devant un appétit de réalité n’ayant d’égal que celui de lecture, on passera de Sénèque à Debord, d’un boulevard rimouskois à une taverne montréalaise, à la recherche d’un instant qui transfigure la perte des moments. Mais plutôt qu’une simple revendication du singulier, de l’unique, il s’agirait, et c’est là une des principales frictions peuplant ce texte, de le réconcilier avec l’universel et de rétablir un miroitement dynamique entre le maintenant et ce qui l’excède : « En somme, l’idéalisation du passé qui nous pousse à créer des âges d’or et des âges sombres est à l’image de notre propre vie, qui tend à oublier les moments de doute et à glorifier les décisions que nous prenons ». Dénonçant cette distance entre la culture et notre être, Catellier ne s’empêche pourtant pas d’œuvrer à un tel tri entre âges d’or et de plomb, sauf que la mise en garde incluse aura probablement eu le mérite de rendre plus transparent un processus d’idéalisation voué à une relance perpétuelle. De toute manière, le paradoxe semble de mise pour valoriser ainsi la présence dans un écrit – dans sa distance inévitable. En toile de fond, apparaît cette vieille évidence que le moment véritable est un carrefour où futur et passé s’animent : « Nous savions que le refus du présent n’était pas une quête suffisante, mais qu’il fallait bien commencer quelque part » ; et plus loin : « Le fascisme ordinaire de ce cirque devenu planète est de proscrire l’empreinte du temps passé, de faire comme si c’était toujours la première fois ».
Il serait vain de ramener Le temps présent à une chaîne d’arguments. Exposant et suscitant des tensions, l’essai nous force à plonger nos connaissances dans l’incertitude du vécu, tout en nous empêchant de faire de ce vécu un donné définitif. Par la bande, il s’agit là d’un éloge de la littérature, quoique celle-ci n’échappe en rien à l’iconoclasme omniprésent dans ces pages, où la négativité et l’incertitude font figure de pharmacopée. « Nous avons besoin de la science des fous tout comme de l’oubli des oiseaux », est-il dit, peu avant un portrait extrêmement paradoxal d’Émile Nelligan, un exercice d’amour-haine où l’admiration se dispute avec l’agacement devant les malentendus qui traversent la postérité du poète.
Sur fond de déluge printanier, l’épilogue réitère ce plaidoyer pour un présent imparfait, traversé par les remémorations précaires autant que par les assauts de l’oubli. À rebours de la pétrification dans l’immédiat, se dégage un travail pour modeler les ondulations venues de l’arrière et du devant, entre lesquelles afflue un style de conscience.
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