Spécialiste en reliure d’art, Denis Giroux redonne une jeunesse à des livres anciens. Or l’artisan écrit, aussi, pour mieux comprendre ce qui l’angoisse à propos du vieillissement, de la mort. Il doit combattre cette damnée peur stérile et paralysante, ici comparée à la Méduse qu’il lui faut terrasser, s’il veut retrouver une certaine sérénité. Au cœur de sa démarche d’écriture, sa mère Pauline, maintenue en vie dans un état végétatif. Que reste-t-il de la femme forte et aimante une fois que la machine corporelle s’est détraquée pour de bon ? Comme si les motivations du relieur l’engageaient corps et âme, Giroux entreprend avec bienveillance de retrouver la noblesse de celle qui lui a donné le jour, en mettant des mots sur le passé perdu.
Ce qui commence comme une biographie artisanale se transforme petit à petit en hommage à la grandeur d’une de ces femmes ordinaires. Ce drame raconté sobrement arrive à être touchant malgré le caractère pourtant commun du projet. En effet, le tandem d’auteurs Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin emprunte un sentier fréquenté récemment par les Gil Courtemanche et Gilles Archambault, pour ne nommer qu’eux, mais qu’à cela ne tienne, Le temps figé distille une émotion si pénétrante et montre un appétit si vif pour la vie qu’on finit par apprivoiser cette crainte bien humaine du dépérissement.
Tempus fugit. La lecture du roman nous en fait prendre la pleine mesure. L’urgence d’éprouver intensément nos dernières années de vie active nous gagne quand nous assistons au désespérant spectacle de ces hommes et femmes isolés, en perte d’autonomie, qui voient se désagréger les restes de leur dignité dans une chambre insalubre d’un centre de soins de longue durée. Le temps figé développe au fil des pages un regard anthropologique sur la mort, sur la façon dont on l’appréhende. Inévitablement, à force de regarder celle des autres, on en vient à penser à la sienne…
Aime-t-on nos vieux au Québec ? Considérés comme un fardeau, ils sont parqués trop souvent dans un centre d’hébergement pour mieux être oubliés. Coup de balai sur notre conscience ingrate. « Je crois que notre génération préfère cacher les vieux à l’abri des regards, dans des maisons aux noms ronflants et rassurants, des institutions spécialisées. » Ceux qui en 2007 nous avaient offert La bonbonnière nous proposent un roman intimiste grave, sans complaisance, qui ose affronter non sans bravoure la Méduse.